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Expositions

Bustamante, maître du photo-tableau

La galerie Daniel Templon expose les dernières réalisations de Jean-Marc Bustamante, artiste borderline œuvrant entre photographie et peinture.

Jean-Marc Bustamante commence à photographier au milieu des années soixante-dix. En 1975, il est l’assistant de William Klein, représentant d’une photographie directe, sans intermédiaire, prise dans la rue, un praticien de l’instant décisif. Très loin de cette manière spontanée, Bustamante met au point une nouvelle forme de photographie quitranche fortement avec les pratiques d’alors, qu’elles soient celles d’une photographie traditionnelle, ou celles de l’art conceptuel et de l’image-document. Les œuvres photographiques de Bustamante sont des tirages cibachrome, sans marge blanche, de très grands formats, tirés à un seul exemplaire et ceints d’un cadre en bois. Ces dimensions monumentales sortent la photographie de l’échelle qu’on lui connaissait jusque là, l’identifiant à celle de la peinture. Se définissant lui-même comme un «photographe proche du peintre de chevalet», Bustamante qualifie ses œuvres de «tableaux». S’opère avec lui, et contre toute attente, un revirement de situation : ce n’est plus la peinture qui emprunte à la photographie mais cette dernière qui adopte les codes picturaux. Le médium photographique cherche à s’anoblir, à accéder au statut d’œuvre d’art. Il y parviendra, grâce à Bustamante, mais l’on pourrait aussi citer Jeff Wall, par l’entremise de la peinture. De plus l’unicité de l’œuvre contribue à l’accroissement de sa valeur artistique et financière, ouvrant le marché de l’art à la photographie. Le «photo-tableau» est né et s’impose d’emblée comme un dementi aux prédictions de Walter Benjamin. Non, la photographie n’est pas l’instrument de la perte de l’aura mais plutôt celui de sa restauration.


Jean-Marc Bustamante
T10.01, 2001
photographie couleur, 240x160 cm
Courtesy Galerie Daniel Templon
Les sujets abordés par Bustamante dans ses tableaux photographiques sont ces paysages de la périphérie, ces lieux sans qualité qui abondent autour de nos villes. L’évocation de ces territoires n’est pas nouvelle, le thème des zones frontières s’inscrit dans une tradition photographique américaine, ravivée au début des années 70 par les New Topographics. Comme chez eux, l’homme est absent de ces lieux mais sa trace est partout présente dans ces constructions qui jalonnent le paysage, maisons préfabriquées, réseaux routiers, pelleteuses et autres engins. Et comme chez eux, il s’agit d’enregistrer le réel, de tendre vers une objectivité du regard, une mise à distance du sujet. Mais là où la photographie américaine se fait minimale, celle de Bustamante recherche les effets, de grandeur, de picturalité pour atteindre l’intemporalité du sujet photographié, la permanence du paysage. Les photographies présentées chez Templon sont le fruit d’un voyage au Japon, effectué l’année dernière par lartiste. Les couleurs contenues dans ces paysages, le vert éclatant des rizières, les teintes vives des toits des habitations, les brumes bleues des montagnes, viennent servir l’objectif pictural du photographe. La prise de vue, comme à son habitude, ne fait pas l'économie de ces éléments secondaires et encombrants que sont les équipements urbains, routes, ponts, etc. La pelleteuse, au même titre que la montagne, est porteuse de qualités picturales, il n’y a pas chez Bustamante de hiérarchie de valeurs entre ces lieux, la nature est enregistrée dans sa globalité, seule semble compter la composition du tableau. Bustamante mêle les genres, pratique la photographie comme un peintre, et se fait parfois sculpteur, lorsqu’il spatialise l’image (Panorama, exposé à la galerie Nathalie Obadia, parallèlement à l’exposition chez Daniel Templon). Bustamante, un artiste à la croisée des média.


 Raphaëlle Stopin
03.12.2001