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Politique culturelle

Chaux, dolomie et art contemporain

Le CNP expose les commandes photographiques passées par le groupe industriel Lhoist. Entretien avec Jacqueline d’Amécourt, conservateur de la collection.

Quelles motivations et quels objectifs présidaient à l’idée de constituer une collection d’art contemporain ?
Jacqueline d’Amécourt, conservateur de la collection. La collection prend naissance en 1989 lorsque le Groupe Lhoist (producteur de chaux et de dolomie) décide de construire un nouveau siège social au sud de Bruxelles, en pleine campagne. Le choix de l'architecte, du lieu, des matériaux étaient importants. Paralèllement, Jean-Pierre Berghmans, président du Groupe Lhoist, m'a demandé de réfléchir à l'aspect décoratif du bâtiment. Je lui ai proposé d'introduire des œuvres d'art, plus particulièrement de la photographie plasticienne, puis quelques années plus tard, de la sculpture (Richard Deacon, Kiki Smith, Baselitz…). Environ 1600 oeuvres composent cette collection, elle est montrée à 80% dans nos divers bureaux dans le monde. Outre les artistes présentés dans l’exposition du CNP, la collection de photographies (environ 70% de la totalité de la collection) comporte des œuvres de Baldessari, Welling, Sugimoto, Jeff Wall, Cindy Sherman, Bustamante… Si l'objectif était d'abord décoratif, nous avons rapidement mesuré quelle valeur exemplaire pouvaient avoir ces œuvres. Elles sont en effet la preuve qu'il existe un langage universel, celui des formes plastiques, et suggère donc qu'entre chaque entité, il existe un point de tangence, un pont. Notre société étant implantée dans de nombreux pays aux cultures fort différentes, cette notion me paraît fondamentale.


Rodney Graham
L'arbre des soldats, 1993
© Groupe Lhoist
Pourquoi avoir fait le choix de la photographie au regard de la direction initiale prise par la collection en matière de commandes (les premières ayant été passées auprès de Sol LeWitt ou Richard Long, artistes travaillant l’espace dans des œuvres monumentales) ?
Jacqueline d’Amécourt. Sol LeWitt, Richard Long et Pierre Alechinsky sont intervenus alors que le bâtiment était en cours de construction. Nous avons pu faire des modifications selon leurs desiderata. La photographie m'a paru être un des média les plus vivants de la fin du 20° siècle et nous voulions, au départ, simplement montrer la réflexion de certains artistes sur des problèmes moraux, sociaux ou éthiques assez similaires à ceux que nous pouvions rencontrer dans une entreprise. Les commandes (12 passées en une dizaine d'années) se sont développées en même temps que le reste de la collection. Il est vrai, en revanche, qu'elles ont de plus en plus tendance à tourner autour de notre métier. Je ne sais pas si cela était volontaire au départ, je dirais plutôt que cela est la conséquence d'une série de rencontres avec des artistes qui ont été intéressés par nos activités industrielles et par le phénomène de la production.


Elliott Erwitt, Série Alabama
© Groupe Lhoist
L’idée première n’était pas celle de lier la collection à l’entreprise par une parenté thématique, mais cela ne s’est-il pas imposé à vous avec évidence lorsque, très rapidement, vos choix se sont portés vers les Becher, recenseurs du patrimoine industriel ? Pensez-vous que l’avenir peut vous faire emprunter d’autres voies, investir d’autres thématiques, plus éloignées des activités industrielles du groupe ?
Jacqueline d’Amécourt. Le choc visuel de la Biennale de Venise de 1990, où les Becher ont reçu le prix de sculpture, a joué un grand rôle pour moi. Lorsque j'ai vu ces 250 silos à charbon, présentés de façon sérielle, j'ai tout de suite su qu'il fallait montrer ce type de travail au personnel de l'entreprise. Les Becher cherchaient à l'époque à photographier l'intérieur des usines. L'accès était souvent difficile pour eux, ainsi quand je leur ai proposé de travailler sur les fours à chaux de l'entreprise, ils ont immédiatement accepté. L'idée est ensuite venu d'élargir l'inventaire aux usines qui n'appartenaient pas au groupe, de faire une histoire en images des fours à chaux, incluant donc des clichés qu'ils avaient réalisés avant notre demande. Les commandes plus récentes que nous avons passées à Rebecca Horn, Olafur Eliasson, James Welling, Robert Barry, Beat Streuli, etc. n'ont pas tellement à voir avec l'entreprise mais peuvent s'y relier par les concepts qu'elles développent. Beat Streuli par exemple, réalise une œuvre de dimension monumentale, qui présentera une foule de gens, que l'on placera à l'entrée d'un de nos bâtiments. L'œuvre n'est pas explicitement liée à l'entreprise mais elle renvoie à des notions humanistes que nous tentons de développer en son sein, une certaine chaleur des rapports humains, la multi-ethnicité, etc.


Bernd et Hilla Becher
Harlingen - nl 2, 1991-2001
© Groupe Lhoist
A la vue de l’exposition, un parti pris semble ressortir, celui de la typologie, un parti documentaire, celui du constat photographique. Etait-ce une volonté du groupe dès le commencement de la constitution de la collection ou cela s’est-il imposé une fois les commandes réalisées ?
Jacqueline d’Amécourt. Si pour les Becher (une histoire des fours à chaux) ou Elliott Erwitt (le personnel de l'usine de Montevallo) le sujet était précis, c'est moins le cas pour Jan Henle qui a voulu faire un projet plus ésotérique ou Rodney Graham dont le projet a évolué en cours d’élaboration. Quant à Josef Koudelka , nous ne savions absolument pas – durant les deux années où il a visité plus d'une centaine de carrières- quel type d'image arriverait. Nous laissons très libres les artistes dans leurs choix. Les dernières commandes que nous avons passées demeurent dans le domaine de l’image, mais pas seulement photographique. Comme le dit joliment Régis Durand , au travers de cette collection et de ces commandes, nous essayons de donner une «dimension autre».


 Raphaëlle Stopin
27.12.2001