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Marché

Lucas Cranach l'Ancien, Phyllis et Aristote
Estimation : 1,5 / 2 millions £


Le Cranach nouveau est arrivé

Un panneau inconnu de Lucas Cranach l'Ancien quitte la collection familiale française qui l'abritait depuis sa création, en 1530.

Malgré la présence du serpent emblématique de Cranach l’Ancien, ce petit panneau (57,5 x 37,9 cm) n’était pas répertorié dans le catalogue des œuvres de l’artiste. On peut imaginer que cet état de fait aurait pu durer encore longtemps si la famille française, héritière des comtes de Namur, qui le possède depuis sa création, en 1530, n’avait décidé l’an passé de le soumettre au regard d’un universitaire…

Diffusée au 13e siècle par les Sermones feriales et communes de Jacques de Vitry, la légende de Phyllis et Aristote fut reprise au 15e siècle par de nombreux auteurs germaniques. À la fin du Moyen-Âge, elle devint avec David et Bethsabée, Samson et Dalila ou Hercule et Omphale, l’une des illustrations populaires du « Weibermacht » (le pouvoir des femmes). Selon l’histoire, Aristote avait réprimandé son élève, le jeune Alexandre le Grand, d’accorder trop d’importance à la belle Phyllis... et trop peu à ses études. Mécontente de l’intervention du vieil homme, la courtisane décida de le conquérir en déambulant, provocatrice, devant sa fenêtre. Jusqu’à ce que le sage, rendu fou de désir, acceptât de lui servir de cheval en échange de ses faveurs.

Si le thème est courant, l’iconographie, elle, est originale. Loin du parti pris de ses prédécesseurs célèbres, Hans Baldung Grien ou Lucas van Leyden, Cranach donne ses lettres de noblesse au sujet. Il abandonne le simple traitement graphique pour signer une panneau, le second qu’il consacra à Phyllis et Aristote, si on en croit le paiement enregistré en 1524 pour la décoration du château de Lochau. Qui plus est, il choisit d’ignorer des détails narratifs, la cravache et la bride utilisées par la belle, et de renoncer au caractère évocateur et humoristique de la scène pour se concentrer sur la psychologie des deux protagonistes. L’originalité de ce traitement et l’exceptionnelle conservation de l’œuvre dans une même famille depuis sa création devraient permettre au tableau d’atteindre les 2 millions £.


 Zoé Blumenfeld
13.12.2001