Paul Sérusier, au fond des bois

Difficile de parler d’une œuvre de Sérusier sans céder à l’un des poncifs de l’histoire de l’art, la leçon donnée par Gauguin dans le bois d’Amour de Pont-Aven. Trois ans plus tard, quand Sérusier peint les Bretonnes, réunion dans le bois Sacré, il a bien assimilé la leçon coloriste de son aîné. Il l’a même portée auprès de ses amis de l’académie Julian, avec pour preuve tangible, un petit panneau, Le talisman… Ce faisant, il devenait le catalyseur du mouvement nabi. À propos de la toile mise en vente par l’étude Piasa, Patrice Jeannelle-Muhl, qui était déjà l’expert de la vente Sérusier de juin 1984, parle de « l’expression nabie dans toute son optimisation ». Référence sans doute à ces aplats de couleurs pures et mates, cernés de lignes bleu-gris.

Durant les étés de 1891 à 1893, Sérusier est revenu en Bretagne. Il a élu domicile à Huelgoat, dans cet arrière-pays dont les traditions nourrissent son œuvre. La scène qu’il représente ici est assez obscure. De jeunes bretonnes portant coiffe blanche et robe noire sont assises en petits groupes au milieu des troncs d’arbres dénudés. Quant à savoir ce qu’elles font… Il s’agit peut-être d’une préparation pour partir à pardon ou d’un rassemblement à caractère religieux. L’aridité du sujet ne doit cependant pas surprendre chez cet artiste qui voulait concilier la technique cloisonniste et les sujets symbolistes, stimulant l’imagination par la multitude d’interprétations possibles. D’ailleurs, « La mise en page austère et le sujet font écho à L’incantation conservée au musée de Quimper ainsi qu’à de nombreux dessins de femmes, même si aucun ne saurait être qualifié d’esquisse préparatoire », poursuit Patrice Jeannelle-Muhl.

Cette toile figurait depuis 1929 dans la collection d’une famille d’artistes liée au groupe nabi. Non référencée, elle n’a jamais transité par des marchands. « Elle a sans doute été acquise dans la région, voire directement auprès de Sérusier », explique encore Patrice Jeannelle-Muhl. Depuis, elle n’a été ni restaurée, ni nettoyée, d’où les tonalités assourdies et les coiffes au blanc un peu défraîchi… Et l’expert de conclure, « On trouve beaucoup de toiles de Sérusier dans les ventes bretonnes mais il est rare d’en trouver de cette qualité et de ce format qui symbolisent aussi bien l’engagement des nabis ».