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Marché

À la poursuite des porcelaines de Meissen

Sebastian Kuhn, responsable des céramiques chez Sotheby’s, a retrouvé la trace du collectionneur tchèque qui avait inspiré Bruce Chatwin pour son roman «Utz».


Bruce Chatwin à Sotheby's en 1960
© Photo: Corbis
Bruce Chatwin n’a jamais tenté de dissimuler l’ancrage réel de l’un de ses ouvrages les plus célèbres, «Utz». À l’époque de sa publication, il déclarait déjà que ce roman se basait sur les «souvenirs d’évènements qui (lui) étaient arrivés à Prague en 1967», à l’époque où, bien avant son succès d’écrivain, il travaillait au département des céramiques de Sotheby’s. Il mentionnait même la figure d’un important collectionneur prêt à tout pour préserver ses porcelaines de Meissen. Pourtant, jusqu’à une date récente, personne n’avait cherché à deviner qui était ce mystérieux collectionneur, encore moins à savoir ce qu’il était advenu de ses œuvres.

Il y a deux ans, Sebastian Kuhn, spécialiste des céramiques européennes chez Sotheby’s, a décidé de se pencher sur ce mystère, malgré la pauvreté de ses informations. Il n’avait en effet que deux pistes tenues pour étayer ses recherches. D'un côté, il y avait le nom du collectionneur, Rudolf Just, donné par Kate Foster, celle qui avait orchestré la rencontre de 1967 et avait déconseillé à l'auteur en herbe d'écrire un livre qui aurait pu le mettre en danger. De l'autre côté, il y avait cette rencontre magique avec une vieille dame de Prague qui avait connu Just. «Elle a aiguisé ma curiosité en donnant un caractère concret à mes interrogations. Même si à l'époque je n'imaginais pas retrouver la collection entière», nous a confié Sebastian Kuhn.


Rudolf Just devant sa collection
© Sotheby's
Après deux ans d’enquête, Kuhn a enfin réussi là Chatwin, lui-même, avait échoué lors de ses deux autres voyages à Prague. À Bratislava, il a retrouvé la famille de Rudolf Just et les 300 porcelaines qu'elle tenait à l'abri des regards, dans la plus totale ignorance du roman consacré à leur aïeul. Grâce à lui, on peut enfin reconstituer les tribulations d'un homme qui dissimula ses céramiques dans son appartement pragois lorsqu’il fut interné au camp de Kleinstein en 1945, qui persuada les Allemands de ne pas détruire un dépôt d’armes lors du soulèvement de Prague pour éviter la destruction de ses œuvres et qui les défendit lors d’un procès où il fut accusé par les autorités communistes d’être un «spéculateur»... Pour clore cette belle histoire, Sotheby’s met en vente aujourd’hui les 300 lots. Mais si certaines pièces sont rares, l'importance de cette enchère est surtout historique aux yeux de Sebastian Kuhn qui conclut, «Cette collection fait rejaillir le monde culturel d'Europe Centrale avant la Seconde Guerre Mondiale. Rudolf Just était l'un ces derniers grands collectionneurs passionné par des champs artistiques variés dont il avait pourtant une très bonne connaissance.»


 Zoé Blumenfeld
11.12.2001