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D’or et de sang

Véritables architectures peintes, les retables magnifient les grands moments de l’histoire sainte et fourmillent de scènes de martyre.

Retable : tout le monde connaît le terme. Mais que recouvre-t-il exactement ? L’étymologie offre, comme souvent, une aide non négligeable. Retable vient de retro tabulam, c’est-à-dire «derrière l’autel». Il s’agit de la composition picturale - et parfois sculptée - qui est placée dans une église derrière l’officiant, de façon qu’elle puisse être vue par les spectacteurs. Elle se découpe en plusieurs compartiments, d’où le terme de «polyptyque», signifiant littéralement «plusieurs plis» (du grec ptuc, ptukhos, pli). La composition obéit à des règles strictes. Au centre, un épisode majeur de l’histoire sainte : l’Annonciation, la Crucifixion ou la Déposition de Croix. Sur les côtés, des saints ou les donateurs, dépeints dans une attitude de dévotion. Au-dessous, la prédelle, où de petites peintures représentent d’autres saints, souvent des martyrs – saint Sébastien criblé de flèches ou Pierre de Vérone, un sabre dans le crâne - ou des docteurs de l’Eglise. Un plus grand raffinement porte parfois à ajouter un garde-poussière, comme dans le retable du maître de Castelsardo, en Sardaigne. Cette plinthe supplémentaire permet d’accroître le stock de personnages : le retable est bien une bande dessinée éducative…

Les retables étaient souvent pourvus de volets. Leur ouverture cérémonieuse ajoutait à la mise en scène. Les volets, à l’extérieur, étaient peints en grisaille, d’une matière qui pouvait rappeler le papier marbré. Mobile à l’origine, comme les reliquaires, dont il partage certaines des caractéristiques, le retable devient peu à peu une véritable architecture de bois et d’or, totalement intransportable. Celui de la cathédrale de Palencia, en Espagne, en est une illustration saisissante : sa réalisation s’est étendue sur tout le 16e siècle, faisant intervenir plusieurs générations d’artistes célèbres, de Juan de Flandes à Gregorio Fernández. Ce modèle, qui s’adapte parfaitement à l’horror vacui de l’ère baroque, aura une grande influence en Amérique latine et jusqu’à Macao.

Comme à son habitude, l’éditeur propose un ouvrage où la pertinence du texte – dans lequel les auteurs, de l’université de Padoue, évitent avec bonheur de se montrer trop savants – s’accompagne d’une iconographie de haute qualité. Après les essais introductifs, trente retables majeurs sont étudiés de façon approfondie. L’Italie et l’Allemagne s’arrogent la part du lion avec Crivelli, Vivarini, Piero della Francesca, Cranach, Lochner ou Dürer mais, dans ce domaine, on assiste à une globalisation avant la lettre. Ainsi les retables sardes sont d’évidente matrice catalane et l’un des chefs-d’œuvre de Bosch, Le Jardin des délices, après sa commande - probablement par un membre de la famille de Guillaume le Taciturne - a été réquisitionné par les occupants espagnols et a fini près de Madrid, dans le glacial Escorial de Philippe II. Quant aux grands retables conservés sur le territoire français, ils sont abordés, d’Issenheim à Moulins, de Nice (Triptyque de la Pietà par Louis Bréa) à Aix-en-Provence (Retable du buisson ardent de Nicolas Froment). On apprécie la rigueur jusque dans les détails de terminologie. Les noms de saints sont bien traduits, ce dont beaucoup d’éditeurs se dispensent. Egidio est bien Egide et Gaudenzio Gaudens. Dernier raffinement : grâce à un système de pliures, les retables à volets s’ouvrent. Il ne vous manque que l’autel…


 Rafael Pic
28.12.2001