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Les lettres sataniques de Félicien Rops

Parallèlement à l’exposition du musée Félicien Rops de Namur, les éditions Somogy publient une cinquantaine de lettres illustrées de l’artiste écrites entre les années 1850 et 1890.


Lettre à Armand Gouzien (apprès 1867)
© Cabinet des Manuscrits de la
Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles
Cet ouvrage de 166 pages exauce, en quelque sorte, l’un des souhaits de l’artiste namurois de voir un jour ses écrits publiés. Rassemblées de manière didactique, ces lettres présentent un intérêt littéraire et artistique, illustrant la liberté de style de l’artiste dans ses écrits comme dans ses dessins. Ces documents précieux offrent la genèse de l’œuvre graphique de Félicien Rops, fondateur de la Société internationale des aquafortistes. Pas d’étonnement donc en découvrant des croquis évocateurs de certaines séries ou illustrations : Les Epaves pour Baudelaire, Pornokratès ou la Tentation de Saint Antoine Une courte introduction donne des éléments de lecture de ces lettres, à la fois récits visuels et simples ornements. Les lettres se succèdent ensuite sur du papier couleur crème, en accordant une attention particulière à la mise en page. Les manuscrits sont placés en regard des textes retranscrits et certains détails de dessins agrandis mettant en évidence la virtuosité des croquis, comme ce visage de femmes sur la page des Ropsodies hongroises. Une brève description de chaque lettre permet d’en résumer le contenu. À la fin de l’ouvrage, une biographie détaillée de l’artiste ainsi que des notices concernant les divers noms cités permettent de comprendre et de suivre les différentes relations de Rops. L’index des titres d’œuvres facilite la recherche.

Selon les destinataires de sa correspondance, le graphisme change et les écrits se font plus ou moins crus, « voiler les cheveux blonds du pénis sacré de la femme de Saint Antoine » ou encore « c’est une demoiselle qu’on fait venir de la-bàs pour garder la vertu de deux morveux de petits français qui s’oubliaient avec leur bonne. » Les dessins, graffitis et estampes définissent la composition de chaque page en occupant soit l’espace central soit les bordures. L’artiste n’hésite pas à se caricaturer en petit homme osseux et échevelé dans des lettres adressées à Léon Dommartin ou à Armand Gouzien. Ce type de traitement s’adresse bien évidemment à des membres du clergé ou encore à ce professeur de rhétorique de Namur, le Père Bergeron. En armure de chevalier, sa palette en guise de bouclier, lorsque Rops aborde les Contes de Gauderies du pays namurois il y met les formes :lettres gothiques, cire rouge et emploi du vieux français. Comme un véritable récit imagé, les lettres relatant son séjour sur Paris, illustrent sa vie de bohème, ruiné et triste « comme le Bélisaire de Mr Ingres »n’ayant que trente francs en poche.

Des feuilles très achevées rappellent la virtuosité du peintre et de l’illustrateur. La lettre à Auguste Poulet-Malassis< livre une première esquisse de la Pallas présentée en 1875 à la société internationale des aquafortistes. Son « dessin polisson » de Pornocrates nécessite selon ses termes d’être « encadré avec volets, si l’on veut, pour ne pas effaroucher les yeux des enfants, des jeunes filles, des femmes qui ne sont pas vertueuses... ». Certaines feuilles reprennent des détails particulièrement intéressants comme la première lettre du recueil : Le père Büch, professeur de musique de l’artiste dans sa ville natale. Vues de paysages et scènes naturalistes affirment son attachement à la mer du nord. Particulièrement représentative la lettre à l’historien de l’art Philippe Bury dans laquelle l’artiste écrit au crayon : « j’avais une plume une belle grosse plume d’oie qui me servait à prendre des croquis, elle était trop belle, on me l’a volée. (...) Il me reste deux pages blanches – je vais les remplir avec mes souvenirs de côte tirés de mon album. » En guise d’entête, une maison et des bateaux amarrés, remplaçant la formule de politesse un pêcheur en sabot. Les sujets sataniques, démoniaques, grivois et anticléricaux trouvent également leur place : La Marotte macabre et l’écorché en habit d’homme de loi déterminent la suite des cinq dessins à tendance symboliste des Sataniques. Un ouvrage bien conçu qui permet une lecture agréable et amusante. Il est dommage que les dessins rehaussés de couleurs et les papiers colorés n’aient pas été restitués.


 Stéphanie Magalhaes
26.12.2001