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Marché

Le mystère s’épaissit sur la vente Rothschild

Des sous-estimations systématiques, des enchères millionnaires et un vendeur qui agite la menace de poursuites judiciaires : la vente de vendredi 14 décembre à Drouot, sous le marteau de maître Renaud, alimente la polémique.


Table à écrire en marqueterie
Boulle, France
Le produit de la vente de tableaux, orfèvrerie, mobilier et objets d’art, aurait dû se situer entre un et deux millions de francs. Cette prévision a été pulvérisée pour atteidnre 37,7 millons de francs. Comment expliquer cette anomalie ? Comment expliquer qu’une verseuse en bronze patiné, estimée à 6000 francs, ait pu s’envoler jusqu’à 2,9 millions de francs ? Ou qu’une table à écrire en marqueterie Boulle, estimée 60 000 francs, ait finalement été emportée par l’épouse de François Pinault pour 7,9 millions de francs ? Même destin pour un buste de Clodion, présenté avec une évaluation de 120 000 francs, et qui s’est négocié à 560 000 francs. Les experts ont-ils mal fait leur travail ? A-t-on décidé de sous-évaluer grossièrement pour assurer la vente des lots ?


Important tankar couvert
en vermeil, Allemagne
Pour M. Serret, du cabinet Serret et Portier, chargé de l’orfèvrerie, «Nous manquions totalement de références de prix pour ces objets allemands, qui ne passent jamais sur le marché français. On nous avait demandé de nous concentrer sur l’authenticité des objets, qui devaient être vendus. Nous avons donc mis des petits prix, peut-être très bas, tout en sachant que les enchères serviraient de juge de paix. Il y a eu une importante publicité bien avant la vente, notamment dans des journaux allemands, et les objets ont été longuement visibles chez Daguerre. Ils ont donc pu être étudiés de façon détaillée par les acheteurs potentiels.» Pour la verseuse citée plus haut, l’expert Jean Roudillon rappelle qu’en l’absence d’intime conviction, il n’a pu garantir une époque pour l’objet et qu’il est donc demeuré dans l’expectative : «Je lui ai donné un prix afférent à un objet décoratif. D’autres personnes y ont vu autre chose et les enchères sont montées à un niveau inouï. Il faut cependant souligner que nous devons nous prononcer dans des délais très courts. Un exemple : j’ai devant moi la facture pour une analyse au carbone 14. Elle s’élève à 6300 francs. Mais les vendeurs ne nous laissent pas toujours le temps ou la possibilité financière de mener ce genre d’études.»


Verseuse en bronze patiné,
Allemagne
Il est apparu a posteriori que la plupart des objets provenaient de la Fondation Nationale pour les Arts Graphiques et Plastiques, instituée par un legs de la baronne Adèle de Rothschild dans les années vingt. Cette fondation, présidée par Eric de Rothschild, possède un hôtel particulier, rue Berryer, à Paris, dont elle loue une partie des salles au Centre National de la Photographie. Ces objets ont-ils été aliénés de façon irrégulière, comme le laisse penser la réaction violente, rapportée par la presse, d'Eric de Rothschild ? «Nous avons été très surpris par l’écart entre les évaluations et les prix, explique le vice-président, M. Jean. Nous n’accusons personne pour le moment, nous menons notre enquête. Il est clair que si la procédure normale n’avait pas été respectée, nous n’hésiterions pas à aller devant les tribunaux. » Le commissaire-priseur, maître Renaud se dit «très surpris que les gens aient réagi après la vente. Nous avons passé deux pleines pages couleur dans la Gazette de l’Hôtel Drouot. Tout a été fait dans le respect des règles. J'avais une réquisition de vente signée de la part de la directrice de la Fondation. Si la vente était irrégulière et que le président le savait, pourquoi n'a-t-il pas eu recours au référé ? Des acheteurs, comme M. Pinault, m'ont dit qu'ils étaient prêts à rendre les objets. D'autres s'y refusent catégoriquement. Annuler une vente de plein gré, c'est risquer la mise en examen. Cela ne peut être fait qu'avec l'accord du procureur.» Les démarches, les lettres d'avocats vont probablement se multiplier aujourd'hui et demain. Une conclusion de l'affaire avant la trève des confiseurs ?


 Rafael Pic
21.12.2001