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Politique culturelle

Le retour de Mamio

L'Allemagne vient de restituer à un village du Burkina Faso, une statuette de la fertiité dérobée il y a 10 ans.

POBE-MENGAO (Burkina Faso) - "Je voudrais rendre solennellement à votre peuple sa statue". Le visage rayonnant, Helmut Rau, ambassadeur d'Allemagne au Burkina Faso, remet aux villageois de Pobé-Mengao"Mamio", leur divinité de la fertilité volée il y a dix ans. Pobé-Mengao est une bourgade poussiéreuse du nord du Burkina Faso, à 250 kilomètres de route cahoteuse de la capitale Ouagadougou, dans un paysage sahélien austère, parsemé de quelques baobabs rabougris. La quiétude du village fut perturbée par la disparition en 1990 de "Mamio", la statuette de la fertilité et de la protection, objet d'une vénération centenaire. Sa perte plongea la population dans un désarroi total. "Les difficultés se sont accrues : rareté des pluies, multiplication des épidémies, décès inexpliqués...", explique Aminata Ganamé, porte-parole des femmes du village. Un désarroi partagé par le professeur Jean-Baptiste Kienthega, del'université de Ouagadougou, qui croisa pour la première fois la statuette en 1974, alors qu'il dirigeait un programme de prospection. L'archéologue fit de la recherche de Mamio son cheval de bataille. De colloque en colloque il plaida sa cause, saisit Interpol. Finalement, en 1997, Mamio est répérée à Munich en Allemagne, "propriété"d'un collectionneur bavarois. La partie allemande se saisit du dossier, qui n'aboutit qu'après de longues tractations diplomatico-juridiques. La restitution, célébrée comme une grande fête, se déroule dans la courdu palais de Sa Majesté "Ayo Sigri du Lorun", roi de Mengao. Dans sa concession royale aux bâtiments de terre cuite, le trône en pierre surmonté de trois statuettes se dresse sous un auvent de chaume soutenu par 36 pilliers de bois.

L'arrivée du roi, accompagné par une dizaine de ses notables, se fait au son cadencé de l'"A-goullé", tambour royal qui ne sort qu'à l'occasion des grandes cérémonies. Habillé d'un boubou blanc et coiffé d'un chéchia de la même couleur, le roi prend place sous le hangar, assis sur une natte à même le sol comme le veut la tradition. L'y ont déjà précédé cinq membres du gouvernement burkinabè, sur des chaises. Après les salutations d'usage, les discours de l'ambassadeur et du ministre de la Culture, l'instant tant attendu arrive. M. Rau débale d'un foulard les 22 kilogrammes d'une pierre taillée en forme de poupée. C'est Mamio. "Hrii, hrii, hrii". Des cris stridents fusent de partout au milieu d'une vaste bousculade. Mais on ne touche pas la statuette. Car il faudra soumettre "Mamio" à des sacrifices de purification. Un bélier et un coq blanc seront égorgés. Emu, le roi remercie tout le monde et lance un proverbe: "Une vieille vache ne cesse de remercier le pré car elle y viendra pour son patûrage".

Assis dans son coin, le professeur Kiethéga ne cache pas sa satisfaction. "Je suis particulièrement ému car je recherche cet objet depuis 10 ans. Je me livre à la joie sans aucune idée de revanche", sourit l'archéologue, aujourd'hui submergé de demandes concernant le pillage du patrimoine culturel. "Je ne suis pas un policier, je suis un chercheur, mais on m'approche, on me soumet pas mal de dossiers de disparitions d'objets d'art depuis qu'on a appris le retour de Mamio". Ces demandes l'embarrassent d'autant que beaucoup veulent éviter une enquête. Les complicités sont souvent selon le professeur à chercher au sein même des villages, alors que les lois coutumières punissent de mort le vol d'objets de culte. Selon le professeur, au moins cinq pilleurs d'objets d'art ont été retrouvés morts cette année dans des circonstances mystérieuses, dont trois tués par balle. Moins expéditif, il compte sur la rélève scientifique... Une vingtaine de ses étudiants étaient ainsi présents à la cérémonie de retour de Mamio.
Par Christophe KOFFI

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  AFP
26.12.2001