Home > Le Quotidien des Arts > Xenakis, l’équerre et la partition

Expositions

Xenakis, l’équerre et la partition

A l’occasion du dépôt des archives du compositeur au département de la Musique, la BnF expose une centaine de documents qui retracent son œuvre.


© Bibliothèque nationale de France
Disparu l’année dernière, à l’âge de 80 ans, Iannis Xenakis, français d’origine grecque, demeure une figure majeure de la création artistique du siècle écoulé, de par la contribution qu’il a apporté, en tant que compositeur mais également au titre d’architecte. Après avoir reçu un enseignement de musique classique, Xenakis part pour Athènes en 1938 afin d’étudier à l’Ecole Polytechnique. Engagé dans les luttes politiques qui secouent alors violemment son pays, il est blessé puis condamné à mort en 1944. Le jeune Xenakis trouve asile en France, en 1947, et commence à travailler dans l’atelier de Le Corbusier, où il demeurera jusqu’en 1959. Les rencontres d’Olivier Messiaen en 1950 et d’Hermann Scherchen, quatre ans plus tard, l’inciteront à poursuivre plus avant ses investigations musicales et à approfondir ses théories. L’exposition présentée dans la crypte du site Richelieu retrace les grandes étapes de sa carrière et les divers aspects de son activité artistique. Dans un premier temps chronologique, le parcours se fait ensuite thématique et se développe autour des deux axes que sont la création architecturale et la composition musicale.

Etant ingénieur de formation, c’est sa connaissance du béton armé qui permet à Xenakis d’entrer dans l’agence du plus grand nom français de l’architecture moderniste, qui aborde en ce début des années 50, l’ère du brutalisme : Le Corbusier. Fruit de leur collaboration, quelques projets, dont certains seront réalisés, voient le jour. Les plus importants d’entre eux sont ici évoqués par le biais de croquis, maquette, photographies d’époque, courrier, etc. La plus célèbre de leur réalisation commune est certainement le Pavillon Philips commandé par la firme pour l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1958. Sa structure, fondée sur des formes paraboloïdes, hyperboliques et conoïdes, est faite d’éléments de béton pré-contraints. L’aspect atypique de cette architecture témoigne de l’étroitesse des liens qu’entretiennent sa pratique architecturale et ses conceptions musicales. L’architecture est le relais de sa création musicale, elle est perçue comme la concrétisation possible de sa conception formelle du son. Ses deux champs d’investigation artistique se rejoignent également lors de la conception de la Tourette, édifice pour lequel il conçoit des pans de verre ondulatoires dits musicaux, applications architecturales de ses recherches sur les variations de densité et sur la polyphonie rythmique. Les projets architecturaux se font au fil des ans de plus en plus programmatiques, assortis à une vision plus nettement utopiste. Xenakis imagine la ville du futur, une cité cosmique, rêve d’une architecture en mouvement, qui évolue dans le son et la lumière (Les Polytopes).


© Bibliothèque nationale de France
Peu à peu, Xenakis délaisse la création architecturale, pour se concentrer sur son œuvre musicale et sa théorisation. Cette préférence pour l’expression musicale, Xenakis l’explique à Chris Marker, dans un documentaire diffusé dans le cadre de l’exposition. La musique offre, selon lui, une expérience distanciée de la réalité car le son est invisible. Elle seule autorise la véritable abstraction, au contraire de l’architecture qui entretient un lien direct avec le monde visible. L’esthétique musicale de Xenakis prend pour base des présupposés mathématiques (équations, tableaux de calcul), lesquels ont en charge d’établir des contraintes préalables, toutes issues du monde scientifique, à partir desquelles l’œuvre se construit. Fondée sur l’introduction des lois mathématiques et physiques dans le mode de fabrication d’une œuvre, cette musique est dite « stochastique ». La présentation de ces partitions et autres manuscrits exposés ici, sous verre, accrochés au mur, tels des tableaux, se justifie sans peine tant ses écritures savantes, illisibles pour un profane, semblent dire autre chose. Il ne s’agit pas seulement de documents mais également, à l’image des créations musicales que ces partitions et schémas renferment, d’œuvres abstraites. Le parti pris didactique de cette exposition et sa clarté de conception permettent de donner quelques clefs pour appréhender cette œuvre essentielle et complexe qu’est celle de Iannis Xenakis.


 Raphaëlle Stopin
25.01.2002