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© Françoise Monnin

Jan Krugier : le dessin, espace de silence…

Le célèbre marchand suisse présente sa collection inestimable au musée Jacquemart André. Il évoque pour nous sa passion.

«Le langage du dessin est complètement différent de celui du tableau : dans le tableau vous sentez le côté «faire». Tandis que dans le dessin on sent le premier jet, le premier cri. Le repentir. C'est tout à fait autre chose. On ne peut pas tricher avec le dessin. Une collection de dessins, c'est très secret. Une minorité de gens parviennent à dialoguer avec eux. Il s'agit d'un dialogue plutôt profond. Différent de la manière de voir, ou plutôt de regarder, des tableaux» : lorsqu'il s'agit du dessin, le marchand Jan Krugier est intarissable. En compagnie de sa femme, Marie-Anne Poniatowski, depuis plus de trente ans, il traque les chefs-d'œuvre. D'abord, un Giacometti, offert par l'artiste. Puis, un paysage de Seurat, payé 12 000 $, et, aujourd'hui, presque 500 dessins au crayon, au fusain ou à la plume, datés des cinq derniers siècles, parmi lesquels, acquis très récemment, un étonnant Caspar-David Friedrich. Présentée au public pour la première fois à Berlin, en 1999, en signe de « réconciliation » (Jan Krugier est rescapé d'un camp de concentration nazi), la collection a ensuite été montrée à Venise puis à Madrid. Pour Paris, 180 pièces ont été sélectionnées. «C'est déjà énorme et les gens seront très vite fatigués. Absorber 180 dessins, c'est un effort considérable, car le dessin exige une lumière plus tamisée, à cause de sa fragilité.»

L'aspect secret du dessin correspond à votre tempérament ?
Jan Krugier.
Absolument.

Quelles sont les périodes que vous privilégiez ?
Jan Krugier.
Celles où la qualité du silence est manifeste.

Vous sentez vous des affinités avec les autres collectionneurs de dessins?
Jan Krugier.
Nous avons un langage commun. Et, souvent, des orientations différentes. Le baroque, par exemple, m'intéresse beaucoup moins. Parce qu'il est trop apparent. Il gesticule trop.

Qu'est-ce qui vous manque ?
Jan Krugier.
Tellement de choses ! Pensez... Un Michel Ange me manque et je ne cracherai pas sur un dessin de Raphaël. Ou de Léonard de Vinci. Toute une pléiade...

Vous achetez des grands maîtres et de personnages moins célèbres...
Jan Krugier.
Parce que je sens une relation entre eux. Une grandeur. Les moins célèbres ne sont pas plus petits. Ils sont plus modestes.

Qui, par exemple ?
Jan Krugier.
Zoran Music est un grand vivant. Certains jeunes aussi, comme l'Américain Perkin, qui vit à Paris et qui à cause de cela est quasiment ignoré. Ou comme Michel Haas, qui vient de recevoir le Grand Prix de la Ville de Paris. Ou comme François Rouan. Zao Wou Ki a aussi de merveilleux dessins.

Collectionner autant de choses aussi fragiles, n'est-ce pas un peu pervers ?
Jan Krugier.
Nous vivons parfois des drames, des disparitions. Dernièrement, un incendie criminel dans un atelier de Genève m'a détruit un merveilleux dessin de Holbein le Jeune, une aquarelle de Poussin rarissime et un Matisse. Cela me rend malade d'en parler.

Sans parler des accidents, le dessin est par définition très fragile…
Jan Krugier.
Parlez-en avec ma femme : elle se plaint beaucoup du fait que nous habitons dans le noir...

Il y a donc une provocation dans le fait de confronter le public à cette fragilité longtemps gardée secrète…
Jan Krugier
Si l'Allemagne n'avait pas demandé notre collection, nous ne l'aurions jamais montrée. Pour les expositions suivantes, ça a été la même chose.


 Françoise Monnin
19.03.2002