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Expositions

Lise Sarfati
© Maison européenne
de la photographie

Photographier le «rien»

Avec les œuvres de Paolo Nozolino, Stéphane Duroy et Lise Sarfati, la Maison européenne de la photographie célèbre une esthétique du détachement.

Des titres sévères, «Nada», «Collapse» et «Acta Est», donnent le ton de ces trois expositions. Paulo Nozolino joue autour de l’idée du «rien». Stéphane Duroy s'intéresse à «l’effondrement» avec la symbolique représentation, à travers l’écran de télévision, de la chute des tours du World Trade Center. Quant à Lise Sarfati, elle met en exergue de son accrochage un texte intitulé «Face à la chose» et inscrit ses photographies sur le registre de la négation. Tel pourrait être le dénominateur commun de ces trois expositions, la négation du sujet au profit de l’intensité du regard et de l’état psychologique du photographe, de la valorisation de la forme, de la composition, du choix des couleurs ou du rendu des noirs. L’ensemble étant servi par l’expérience de la MEP en matière d’accrochage et d’éclairage. Nozolino parle de l’Histoire, évoque la mort. Duroy explore les pays de l’ancien bloc de l’Est. Sarfati photographie la Russie d’aujourd’hui, la délinquance et les déviances sexuelles de sa jeunesse. De sorte que l’atmosphère générale dans laquelle baignent ces salles contribue à donner une vision plutôt dépressive du monde qui nous entoure.

Mais au terme du parcours, ce sont sans doute plus les impressions visuelles et pour ainsi dire picturales qui nous restent durablement en mémoire : les grands formats monochromes de Sarfati, le grand tableau vertical de Nozolino composé à partir d’une architecture berlinoise, et la discrète mélodie qu’égrène Duroy, entre le noir et blanc et la couleur. À noter que tous les trois ont opté pour la retenue : les cimaises ne sont jamais encombrées, bien au contraire. Tout est organisé afin que l’attention du visiteur soit avant tout captée par le visuel : l’image rien que l’image. L’image photographique, mais aussi, d’une certaine manière, l’image mentale. Qu’importe en fin de compte le lieu exact de la prise de vues, la date, le sujet représenté. Les légendes qui ancrent traditionnellement les photographies dans le monde réel sont absentes chez Sarfati et elles se font discrètes chez Duroy. Ces trois photographes qui sont issus d’une culture de la photographie documentaire, qui ont évolué, ou évoluent encore dans le contexte d’agences telles que Vu ou Magnum, manifestent ici le désir de s’en extraire pour affronter la réalité autrement et faire oeuvre personnelle. Mais la manière dont ils opèrent ce détachement comporte un risque, celui d’une perception avant tout esthétique de leur travail.


 Gabriel Bauret
25.02.2002