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Politique culturelle

Œuvres d'art, vos papiers !

Les députés doivent ratifier cet après-midi la convention internationale Unidroit. Conçu pour limiter le commerce illicite par le biais d'une meilleure «traçabilité» des biens exportés, ce texte pourrait avoir des effets pernicieux sur le marché de l'art.

La convention Unidroit a été signée le 24 juin 1995 à Rome. Elle a pour objet de compléter en l’étendant aux biens privés la convention de 1970 de l’Unesco, qui porte sur la restitution des biens publics volés. La convention Unidroit a été ratifiée à ce jour par 8 Etats (Italie, Finlande, Hongrie, Roumanie, Lituanie, Pérou, Bolivie, Paraguay) tandis que 5 autres s’y sont associés. En France, la convention semble recueillir pour elle la majorité des suffrages parlementaires, au-delà des traditionnels clivages politiques. Dans le climat actuel, à quelques mois des élections, aucun parti ne semble vouloir prendre le risque de rejeter un texte qui se donne pour mission de mieux défendre le patrimoine, notamment celui de régions traditionnellement ponctionnées par le commerce illicite (Afrique, Europe du Sud, Asie, etc). Les quelques affaires qui ont récemment défrayé la chronique – les statues nok du Louvre, les statuettes maliennes offertes au président Chirac – ne peuvent que conforter l’opinion publique dans cette direction.

Des voix s’élèvent pourtant pour dénoncer les effets pervers qui ne manqueront pas de se manifester. C’est notamment le cas pour les dispositions concernant la restitution des biens. A partir de l’entrée en vigueur de la convention, tout objet illicitement exporté «ayant une importance culturelle significative» pourra être réclamé par un Etat. La prescription étant de 50 ans, la définition de ce que l’on considère comme culturellement significatif a tout le temps d’évoluer… Autre élément qui suscite l’inquiétude : on ne se fonde plus sur le principe classique du Code Civil «possession vaut titre» qui laisse au propriétaire le bénéfice de la bonne foi. La charge de la preuve est inversée. Ce sera au propriétaire de prouver que son bien a pu quitter son pays d’origine avec les autorisations nécessaires. Faute de quoi, il devra s’en défaire. «Pouvez-vous déterminer la provenance de tous les objets que vous trouvez dans le grenier de votre grand-père ? C’est cela que l’on vous demande en substance» explique l’antiquaire Christian Deydier.

Un autre point litigieux concerne la juste et préalable indemnisation du propriétaire. Exprimée dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, elle est inscrite dans la Constitution, qui est par définition supérieure à un traité international. Or, les dispositions prévues ne semblent pas en mesure de la faire jouer facilement. En effet, le possesseur ne pourra prétendre à cette indemnisation que s’il apporte la preuve qu’il ne savait pas, au moment de l’acquisition, que le bien a été illégalement exporté. «La seule façon d’être indemnisé sera de produire un certificat d’exportation. Mais si le bien a été illégalement exporté, par définition, il ne peut pas en avoir obtenu ! Au lieu de protéger les objets, on risque plutôt de voir se développer un marché des faux certificats» prévoit maître Chazal, qui s’est notamment occupé de la donation Goldet. «Ce qui est inquiétant, renchérit Dominique Chevalier, président du Syndicat national des antiquaires, c’est que cette convention va engendrer une grande insécurité dans le monde de l’art. Les échanges vont en pâtir, et pas seulement les échanges commerciaux. Beaucoup d’expositions ne se feront plus car les prêteurs craindront de se voir réclamer des objets dont il ne connaissent pas la «traçabilité» sur les cinquante dernières années.» Et qu’en sera-t-il de l’objet retourné dans son pays d’origine ? Sera-t-il catalogué, conservé dans un musée, dûment protégé ? En l’absence d’une législation contraignante et de structures adaptées, ne risque-t-il pas plutôt de repartir, tôt ou tard, dans le circuit du commerce illégal ?


 Rafael Pic
29.01.2002