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Nan et Brian au lit, New York, 1983
© Aperture Foundation, Inc, 1986
© Nan Goldin, 1986

Nan Goldin, photos de famille

Alors que l’exposition du centre Pompidou fait escale à Madrid, paraît en langue française La ballade de la dépendance sexuelle, premier opus de la photographe américaine.

Né en 1953, Nan Goldin passe son enfance à Boston, période marquée par le suicide de sa sœur aînée. Elle s’enfuit du foyer familial à 14 ans et aborde la photographie vers l’âge de 18 ans. A New York, elle fréquente le milieu underground et y trouve sa deuxième famille. La Ballade de la dépendance sexuelle est une chronique, un journal intime en images, couvrant dix années de sa vie, de 1976 à 1986, passées entre New-York, Berlin, Londres et Boston. La ballade, ici, n'est pas chronologique mais davantage thématique. Les clichés ont été regroupés par sujet, agencés de manière à nous présenter les protagonistes de son histoire et à proposer sa définition de la nature des rapports humains. L'organisation du livre traduit l'ambivalence des relations humaines selon Nan Goldin, définies par une dicotomie homme-femme irrémédiable, que chaque partie tente vainement de braver. La photographie de la couverture, présentant Nan et Brian après l'amour, donne le ton ; le couple hétérosexuel est vécu comme une équation impossible, tiraillé entre attirance et répulsion, entre la dépendance amoureuse et sexuelle et le désir d'autonomie. Ses images se veulent donc plus que des photos de famille, elles tendent à la saisie de quelque chose d'universel, à savoir, la dialectique homme/femme, et au-delà, le pouvoir du sexe.

Nan Goldin dit photographier pour « ne plus avoir à dépendre de la version de mon histoire vue par d'autres, […]ne plus jamais perdre le vrai souvenir d'une personne ». Ses images sont donc là pour garder en mémoire, fixer son monde tel qu'il est, en donner une vision juste, en adéquation avec son expérience personnelle. Mais Nan Goldin n'est pas une praticienne de l'instantané, comme on l'a souvent dit, de même qu'il serait réducteur de ne voir dans sa photographie qu'un témoignage sur le milieu underground et ses mœurs. La dimension esthétique est indéniable dans l'œuvre, les références artistiques sont parfois patentes, comme dans Käthe dans la baignoire (1984), image très composée, jouant du reflet du miroir et évoquant explicitement les tubs de Degas. Ce soin apportée à la composition est encore sensible dans le recours, très fréquent, au cadre dans le cadre, à l'image dans l'image, avec Autoportrait dans la salle de bains (1980) ou Suzanne avec la Joconde (1981), par ailleurs mis en regard dans les pages du livre. Mais cette spontanéité revendiquée par Nan Goldin, si elle était parfois contestable à la vue de l'exposition (les grands formats de ces tirages accentuant la picturalité des clichés et rendant cette spontanéité peu plausible), est ici restituer avec plus d'évidence par le support livre, qui s'approche davantage du diaporama, lequel s'impose en fait comme le support idéalement adapté à l'œuvre et aux ambitions du photographe.


 Raphaëlle Stopin
23.04.2002