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En couverture :
Marine, le dernier jour
de l'été n°2, Montalivet,
France, 1989
Jaquette de Lawrence Wolfson
Photographie © Jock Sturges, 1991
© Aperture Foundation, Inc., 1991

Jock Sturges : photographier pour ne rien perdre

Aperture publie Le dernier jour de l’été, album de famille sensuel et poétique du photographe américain Jock Sturges.

Femmes, enfants et petits-enfants sont photographiés, au cours des mois d’été, aux Etats-Unis ou sur les plages naturistes françaises. Habillées de vêtements légers, de maillots de bain ou simplement nus, les modèles de Sturges sont pris tels qu’il lui apparaisse dans l’instant, dans l’appareil qu’ils ont choisi, sans qu’aucune systématicité n’ait été imposée. Et c’est là la force de l’œuvre : saisir la beauté naturelle du sujet. Le mode opératoire est souvent le même chez Sturges et l’intermédiaire mécanique sait, chez lui, se faire discret. L’outil technique – une chambre 20 x 25 et un trépied - se veut simple d’utilisation, n’accaparant l’attention du photographe que de façon minimale. Une impression d’aisance et d’évidence transparaît à l’image, qui laisse supposer une connaissance intime du modèle de la part de son photographe. Et de fait, Sturges partage, souvent pendant un ou plusieurs mois, la vie de ses sujets-amis, répétant cette expérience d’une année sur l’autre. Car tout comme il ne cherche pas à multiplier les possibilités techniques, il ne poursuit pas davantage la variété thématique. Avec la plus grande constance, il s’est toujours attaché à photographier sa famille et ses amis. Aussi loin que remonte sa pratique, il n’a eu de cesse de portraiturer son environnement le plus proche.

Pris de 1978 à 1990, de Montalivet, plage naturiste française, à Rhode Island en passant par la Californie du Nord, ces clichés sont autant de témoignages du passage du temps sur ces êtres, de l’inéluctable transformation à laquelle sont voués ces jeunes corps. Du passage de l’enfance à l’âge adulte, de la maternité à l’indépendance des enfants, toutes ces étapes sont saisies par Sturges. Fixer sur le papier, ce qui demain ne sera plus, garder une empreinte de ces âges de la vie, tel semble être le projet du photographe. Certaines images prises à Montalivet, exposant au regard ces corps nus, vus en plongée, ne sont pas sans rappeler une tendance de la photographie française des années trente, plus particulièrement illustrée dans l’œuvre de Jean Moral ou encore Pierre Boucher. Corps abandonnés dans la chaleur et la lumière d’été, nonchalants, ou nudité plus affirmative, ces femmes nous regardent souvent droit dans les yeux, sans aucune gêne. Les poses, sans être empruntées, sont toujours gracieuses, et la gestuelle, harmonieuse. Certaines compositions, teintées d’accents mystiques, présentant des jeunes filles à la fenêtre, la tête couronnée de fleurs ou auréolée semblent héritières de l’art de Julia Margaret Cameron, où règne cette fragilité et affleure cette même complicité troublante, à la fois fraternelle et féminine. En 1990, Sturges, accusé de contrevenir à la loi sur la pornographie enfantine, voit son atelier perquisitionné et ses photographies saisies par le FBI. Pourtant aucune ambiguïté n’est à déceler dans le regard du photographe, c’est toujours avec respect que Sturges considère le modèle, aucun instant volé ici, mais une intimité partagée, sans le moindre voyeurisme.


 Raphaëlle Stopin
30.04.2002