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Quand Lautrec déploie sa « teknik»...

Quelques mois après l’exposition du Centre Pompidou qui a confirmé l’influence de Lautrec sur nos contemporains, le musée Maillol explore les talents de l'affichiste.


Henri de Toulouse-Lautrec,
Moulin Rouge, 1891
© Fondation Dina Vierny.
Musée Maillol
Si les affiches d’Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) sont connues dans le monde entier, peu d’occasions ont permis d’en comparer les différentes phases de création. Du dessin préparatoire à l’œuvre finale, les 32 affiches présentées au musée Maillol permettent au visiteur d’aborder la technique de l’artiste albigeois. Élève de René Princeteau, Toulouse-Lautrec monte à Paris en 1881 pour suivre l’enseignement de Léon Bonnat puis de Fernand Cormon. Se détachant peu à peu d’un style académique, l’artiste se tourne vers l’art japonais et fréquente les Nabis. Fervent admirateur des spectacles nocturnes, il fait de cet univers sa principale source d’inspiration. Ses égéries ont pour noms Jane Avril, La Goulue, Yvette Guilbert et ses lieux de prédilection sont le Moulin Rouge, l’Elysée Montmartre ou les Ambassadeurs. Sur les traces de Chéret et des affichistes du 19e siècle, Lautrec utilise aplats de couleurs, cadrages novateurs, stylisation des formes et une note d’humour qui restent aujourd’hui encore d’actualité. Tout est affaire « de teknik » selon L’artiste.


Henri de Toulouse-Lautrec,
Aristide Bruant dans son
cabaret
, 1893
© Fondation Dina Vierny.
Musée Maillol
Peintre de la modernité, Lautrec a fait de la lithographie sa technique de prédilection. Tout a commencé avec le Moulin Rouge (1891), une affiche destinée à présenter les nouvelles attractions de l’établissement parisien : Louise Weber, dite La Goulue, figure au centre dans un « chahut » effréné tandis que Valentin le Désossé impose sa silhouette longiligne au premier plan. Cette première affiche de Lautrec suscite immédiatement l’enthousiasme de la presse et des artistes. Dès lors les commandes affluent : le cadrage japonisant de Jane Avril au Jardin de Paris(1893) rivalise de modernité avec la composition d’Aristide Bruant au Mirliton (1894). Le chanteur à la voix « d’émeutes et de barricades », identifiable par son chapeau noir et son écharpe rouge, tourne le dos au spectateur. Les épreuves, en nombre variable selon les affiches, présentent les étapes avant la lettre et avec la lettre ce qui permet d’évaluer l’importance accordée à l’image par rapport au texte. Ainsi Reine de joie, illustration du livre de Victor Joze sur les mœurs parisiennes, est déclinée en 5 étapes : l’esquisse préparatoire au fusain, prêtée par le musée d’Albi, et les différents essais de couleurs avant la lithographie finale.


Henri de Toulouse-Lautrec,
Divan Japonais, 1892
© Fondation Dina Vierny.
Musée Maillol
Certaines épreuves surprennent par l’utilisation d’un support hors du commun comme cet exemplaire du Divan japonais (1892) édité sur du papier d’emballage de chocolat Meunier-Frères . Comment ne pas être surpris devant le jeu des personnages destiné à la publicité du photographe montmartrois P. Sescau en 1894 ? Les points d'interrogation qui ornent la robe de la jeune femmes ajoutent aux sous-entendus de l'affiche. Photographe amateur lui-même, Lautrec utilise cette nouvelle technique pour fixer les visages et les attitudes de ses modèles. Ainsi le visiteur découvrira le vrai visage de la Môme Fromage, de Grille d’Égout, de Melle Fager dite Boute-en Train, La Goulue ou Nini Pattes en l’Air mais aussi l’artiste déguisé en Jane Avril ou posant avec un modèle devant sa toile. Gazelle, May Belfort et May Milton seraient-elles restées dans les mémoires sans les œuvres de Lautrec ? « Il est certain qu’à lui je dois la célébrité dont j’ai joui dès sa première affiche de moi » déclarait Jane Avril avant sa mort en 1943.


Henri de Toulouse-Lautrec,
Caudieux, 1893
© Fondation Dina Vierny.
Musée Maillol
Les travaux réalisés pour divers journaux représentent une part importante de sa production. La vache enragée (1896) annonce la parution du journal de la commune libre de Montmartre. Le Père la Pudeur, chargé de surveiller les danseuses de l’Élysée Montmartre, y paraît en premier plan poursuivi par une parade de personnages. Le pendu (1892) illustre le nouveau feuilleton de La Dépêche, Les Drames de Toulouse. Des affiches non retenues sont également exposées, comme Napoléon (1896), projet pour illustrer l’ouvrage de William Milligan Sloane. De même, les dessins préparatoires pour Le papier « Job » (1898) restés à l’état d ‘ébauche ou Confetti (1894) que le commanditaire n’est jamais venu chercher. L’une de ses dernières affiches, la Gitane (1900), pour le Théâtre Antoine, est accompagnée d’une esquisse à l’huile sur carton, technique courante chez Lautrec. L’Aube (1896) témoigne de la virtuosité de l’artiste dans des scènes nocturnes colorées par la technique du crachis. Si l’artiste n’hésite pas à caricaturer ses personnages, sa propre image reste motif de dérision comme en témoigne cet Autoportrait dessiné au dos d’une affiche du Divan japonais prêté par la collection Gianadda de Martigny. Quand l'affichiste s'affiche...


 Stéphanie Magalhaes
08.02.2002