Home > Le Quotidien des Arts > Cluny accueille sa nouvelle Vierge

Musées

Cluny accueille sa nouvelle Vierge

Xavier Dectot nous conte l’histoire de l'exceptionnelle sculpture catalane en bois, présentée à partir d'aujourd'hui au musée national du Moyen Âge.


La Vierge, Catalogne,
12e siècle, 133 cm
© RMN
Quel a été le parcours de cette Vierge avant d’arriver au musée de Cluny ?
Xavier Dectot, conservateur au musée national du Moyen-Âge.
Jusqu’à l’année dernière cette œuvre était connue mais pas localisée. En 1931, Arthur Kingsley-Porter publiait un article dans les notes du musée Fogg de Harvard. Il identifiait un ensemble de sculptures catalanes du 12e siècle, conservées dans les musées de Harvard, Barcelone et Vic (Espagne), comme étant de l’atelier de Taüll, dans la vallée retirée de Boi. L’année suivante, l’article était traduit en catalan avec une note de Folch i Torres. Celui-ci expliquait avoir vu une Vierge assez similaire, en 1928, chez des antiquaires parisiens, les frères Bacri. Malheureusement, ils l’avaient vendue à un collectionneur américain qui souhaitait garder l’anonymat et ils n’en conservaient qu’une photographie. Il y a un an, nous avons appris ce que l’œuvre était finalement devenue lorsque la petite-nièce de l’acheteur, Théodore Pitcairn, a contacté la direction du musée de Cluny. Contrairement aux suppositions, la sculpture n’avait pas traversé l’Atlantique, elle était restée dans la branche française de cette famille de collectionneurs qui a fait fortune dans les chemins de fer.

Comment est-elle entrée dans votre collection ?
Xavier Dectot.
La pièce a été achetée en mai dernier pour moins d’un million de francs par l’association des amis du musée et le groupe industriel AREVA, l’ancienne COGEMA. Avant d’être présentée dans nos salles, elle a subi une restauration au Centre de recherche et de restauration des musées de France. D’une part, nous avons procédé à une consolidation réversible des zones les plus fragiles : le bas, attaqué par des champignons, et l’arrière, endommagé par un ruissellement d’eau. En effet, la sculpture avait été partiellement enterrée et adossée contre un mur humide, peut-être à l’époque troublée de la nationalisation des biens du clergé qui a vu la destruction d’œuvres insignes et la mise au rebut de bon nombre d’autres. D’autre part, les restaurateurs ont supprimé ou atténué des dommages de surface : traces de noir de fumée, taches brunes liées à la remontée du tanin et brûlures.

Les analyses menées ont-elles également permis des découvertes ?
Xavier Dectot.
Les analyses ont révélé la nature du bois utilisé, du poirier, et la présence de traces de polychromie, comme de l’orpiment, un pigment jaune à base de sulfure d'arsenic. Malheureusement, cela ne peut suffire à attester la datation avec certitude, l’œuvre étant trop fragile pour une dendrochronologie (datation à partir des cernes du bois). Cela ne confirme pas non plus l’appartenance au groupe de l’atelier de Taüll, car les quatre pièces connues n’ont pas été analysées. Cependant, l’utilisation de pigments anciens et la présence de la sculpture sur le marché avant la publication du premier article permet de penser qu’elle n’est pas l’œuvre de faussaires. Par ailleurs, ces analyses font avancer la connaissance iconographique de cet ensemble. Les pieds étant manquants, il nous a fallu retrouver le centre de gravité de la sculpture pour connaître son positionnement exact. Cela nous a permis de découvrir qu'elle n’est pas aussi frontale que ce que laissait croire la photographie de 1928. En fait, la figure féminine est penchée en avant, le regard baissé et les mains devant le corps, en signe de prière. Cette révélation laisse penser qu’il s’agit plutôt de l’une des Saintes Femmes au tombeau que d’une Vierge.

Où est-elle présentée ?
Xavier Dectot.
La Vierge a rejoint la salle consacrée à l’art roman. Elle est présentée à côté de deux Christ en croix français du 12e siècle et d’œuvres italiennes du début du 13e siècle, une Vierge et un Saint Jean provenant d’une Crucifixion de la cathédrale de Prato en Toscane. Elle vient ainsi confirmer l’ouverture du musée national du Moyen Âge sur l’art européen.


 Zoé Blumenfeld
06.02.2002