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Expositions

Jean Dubuffet, Dramatisation, 1978, acryle sur papier entoilé, 210 x 328 cm, collection Fondation Dubuffet, Paris
© Adagp, Paris, 2001
© Photo : Archives Fondation Dubuffet


Dubuffet, l'art brut canonisé

Au centre Pompidou s'ouvre demain la rétrospective «définitive» sur Jean Dubuffet. La plupart des toiles exposées n'ont jamais été montrées au public.



«Dubuffet n'était pas drôle, il était décalé !», explique Daniel Abadie, commissaire de l'événement, à quelques heures de l'inauguration. Aussi rubicond que les personnages dessinés par le maître, l'historien d'art sourit largement. Pari gagné ! 80% des œuvres qu'il présente n'ont jamais été montrées au public. On pourrait certes objecter que peu importe, car parmi les 10 000 œuvres consignées dans le catalogue raisonné de Jean Dubuffet (1901-1985), il en est beaucoup qui fonctionnent par séries. L'homme était prolixe. La présentation parisienne, chronologique, est toutefois admirable de sobriété et de qualité. En 76 peintures, sculptures, collages ou pages d'écriture, le visiteur se fait une juste et belle idée de l'aventure dubuffetienne.

Les toiles des années vingt, dans la première salle, surprennent par leur proximité avec certains chefs-d'œuvres surréalistes, signés Ernst et Brauner notamment. Puis vient la couleur des années 40 : des hommes - des gugusses, plutôt - pétillants de malice et incroyables de simplicité. Quatre ans avant la naissance du groupe Cobra, Dubuffet renoue avec les déclarations des maîtres de l'avant-garde allemande, comme Klee (qui conseillait dès 1912 de s'inspirer davantage de l'art des enfants et des fous que des musées classiques). Sur les murs du Centre Pompidou, tout clignote et tout respire. Même la série «Métro» est souriante. C'est dire...

Tous les motifs choisis ensuite grouillent et barbotent, vivifiés par les matières épaisses employées. «Il s'agit d'une œuvre métaphysique dont le sujet a longtemps été la matière», prétend Daniel Abadie. Suivent d'épatants portraits, des séries inspirées par la surface du bitume et par le travail de l'américain Pollock, et des grands personnages esquissés à partir de modules cloisonnés, dont l'idée vint après la rencontre d'un autre confrère, nommé Gaston Chaissac. Dubuffet a tout regardé, tout remâché, des grands peintres de son époque aux graffitis d'urinoirs et aux œuvres d'art brut qu'il collectionna amoureusement. L'exposition montre combien, passées à sa moulinette, les trouvailles des autres sont devenues brillamment décoratives. Il n'y a pas que le commissaire qui se réjouit : chacun des visiteurs quittant l'exposition se sent le cœur léger. C'est que chacun capte un peu du plaisir que prit à peindre et à gribouiller l'ancien négociant en vins et charbons qui décida, à quarante ans, de devenir peintre.


 Françoise Monnin
12.09.2001