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Patrimoine

Le Psittacosaurus, symbole du trafic des fossiles ?

Un fossile, entré en juin dernier au musée Senckenberg de Francfort, fait l'objet d'un scandale qui secoue le monde paléontologique.


Psittacosaurus, avant préparation
© Musée Senckenberg
L’univers de la paléontologie se déchire autour d’un fossile du Crétacé… La raison est scientifique, bien sûr. Ce psittacosaurus de 80 cm de long inscrit dans la pierre depuis environ 120 ou 150 millions d’années ne permet pas l’identification d'une nouvelle espèce. Mais, certains éléments intéressent beaucoup les chercheurs : des fragments de peau conservés ainsi que des filaments, poils ou piquants, répartis le long de la queue. Ce n’est pourtant pas un débat scientifique qui se trouve au cœur de l’affaire mais bien sa propriété très disputée. Actuellement entre les mains d’un musée d’histoire naturelle de Francfort, le musée Senckenberg, le fossile est réclamé à cor et à cri par la communauté scientifique chinoise qui en exige le retour dans son pays d’origine.

De quoi s’agit-il ? L’itinéraire connu du fossile est assez simple si on en croit Fritz Steininger, le directeur du musée Senckenberg. «Importé de Chine, le fossile a été mis en vente en 1997 pour la première fois à la foire spécialisée de Tucson dans l’Arizona. Un an plus tard, il a été à nouveau proposé et acquis, cette fois, par un consortium de marchands italiens et allemands. À cette époque, le fossile a été exporté à Milan où les chercheurs l’ont examiné et ont établi la présence des filaments. Frappés par l’importance de leur découverte, ils ont cherché à le revendre à la Chine tout en publiant un article en collaboration avec des scientifiques chinois et en demandant l’autorisation d’en conserver un moulage. Ayant essuyé un refus, ils nous l’ont revendu en juin dernier pour 150 000 marks».


Psittacosaurus, après préparation
© Musée Senckenberg
En réalité, Fritz Steininberg expose les faits les moins controversés, faisant totalement l’impasse sur la sortie du fossile hors du territoire chinois. Un article publié l’an dernier dans «Nature», faisait état de son origine illégale, jugeant sa conservation en Allemagne immorale. Il était alors relayé par de nombreux spécialistes. Eric Buffetaut, directeur de recherches au CNRS et président du musée des Dinosaures d’Espéraza (Aude), fait partie de ceux-ci. «J’ai déjà participé à plusieurs tentatives pour faire rentrer le fossile en Chine. Tant que cette affaire ne sera pas réglée, je n’y toucherai jamais, ne serait-ce que parce que m'en mêler serait la meilleure manière de devenir persona non grata en Chine. En fait, je suis étonné par le tour que prend cette histoire. A priori, ce musée est sérieux et son personnel honorable. Alors comment pensaient-ils tirer leur épingle du jeu ?»

Une question à laquelle Fritz Steininberg répond indirectement. Selon lui, le fossile a été acquis pour éviter qu’il ne passe entre des mains privées, où il aurait été « perdu » non seulement pour le patrimoine chinois mais aussi pour les scientifiques et le public. Le directeur renchérit également sur le fait que le specimen a bénéficié de l’expérience de son équipe en matière de préparation des fossiles, contribuant ainsi à sa meilleure compréhension. Un déplacement du débat qui ne résout rien alors que l'affaire continue à prendre de l’ampleur. «Il y a des journalistes prêts à tout pour que le scandale éclate», poursuit Eric Buffetaut. «Cette histoire est en train de devenir un symbole d’un trafic et d’un certain manque d’éthique». Prochaine étape, la publication aujourd’hui d’un article sur la question dans la revue «Science».


 Zoé Blumenfeld
13.02.2002