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Expositions

Hans-Peter Feldmann, sculpture en plâtre peint
© ADAGP


Hans-Peter Feldmann, chantre du lieu commun

Le Centre National de la Photographie présente Une exposition d’art, réflexion sur l’art et sa possible re-définition.

Ici, nul tirage photographique encadré sous verre, nulle sobre scénographie, mais une multitude d’objets empruntant des formes diverses et investissant, non les seules cimaises mais l’ensemble de l’espace d’exposition. Et le caractère baroque de l’accrochage n’est pas innocent : l’accumulation d’objets fait sens chez Feldmann. Objets personnels ou éléments issus de notre quotidien sont disposés dans des vitrines, tels de modernes cabinets de curiosité ou accrochés sur les murs, acquiérant ainsi une dimension artistique. Dans les deux vitrines situées dans la première salle, le geste artistique se limite au choix des objets et à leur disposition, sans l’intervention d’aucun savoir-faire. Cette prise en compte de l’espace muséal dans l’élaboration de l’œuvre, l’interrogation des limites entre ce qui peut faire œuvre ou non, la remise en cause du génie artistique, tout cela s’inscrit dans une démarche post-moderniste, qui rappelle pêle-mêle Fluxus, Pop Art et art conceptuel.

Feldmann, né en 1941 à Düsseldorf, commence à collecter très tôt toutes sortes d’images issues de la presse, de magazines, de la publicité. Fasciné par cette imagerie populaire en technicolor, importée d’Amérique après-guerre, l’artiste, à la faveur des mouvements contestataires émergeants dans les années soixante, en fait son matériau principal. La culture populaire est alors convoquée, dans une démarche oscillant entre séduction et critique. La démarche peut être qualifiée de pop en ce qu’elle inclut dans le champ de l’exposition, ce qui fait notre quotidien, sans discrimination. Mais il s’agit davantage ici, d’attirer l’attention sur le banal pour repenser les frontières entre art et non-art, plutôt que de l’intrôniser. Le quotidien est inventorié, répertorié. Dans Booklets Bilder (réalisés entre 1968 et 1976), Feldmann regroupe certains motifs issus de la réalité, cyclistes, paysages marins ou genoux de femmes. Tirées en offset, ces images de basse qualité sont rassemblées sans plus de précision au sein de petits livres, suspendus à des cordelettes. Aucun sens n’est apposé à ces images, l’interprétation est laissée au spectateur et l’image devient le lieu de toutes les projections. L’objet dit artistique n’échappe pas à cette démarche. Pourtant, ce n’est pas l’œuvre d’art qui est exposée sur les cimaises, mais sa reproduction, sous forme de photocopie couleur, au format standard. Reproduites, réduites et massifiées, elles sont accrochées les unes à côté des autres, suivant un principe d’équivalence. De même, dans ces plâtres des grands chefs-d’œuvre de la sculpture, peints de couleurs vives, ce sont encore les limites de l’art qui sont interrogées.

Entré en art à la fin des années soixante, Feldmann poursuit une œuvre résolument post-moderniste. Du génie artistique au mythe de l’originalité, tous les fondements du modernisme sont remis en cause. L’œuvre d’art s’élabore ici à partir d’objets trouvés, l’acte créateur se limitant dès lors à la sélection et à l’agencement de ces divers éléments. L’intervention de la subjectivité de l’artiste s’en trouve amoindrie. Les frontières traditionnellement établies entre art et non-art, original et fac-similé, entre l’œuvre et ses manifestations périphériques volent en éclats. L’exposition, accumulation et assemblage, se fait œuvre, tout comme le catalogue. Ces deux manifestations ne sont plus de simples mises en visibilité de l’œuvre, elles lui appartiennent et en sont indissociables. De l’objet, de l’exposition ou du catalogue, quelle est l’œuvre d’art ? Par ce subtil brouillage de pistes, l’art et la vie trouvent chez Feldmann, un terrain d’entente.




 Raphaëlle Stopin
10.05.2002