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Patrimoine

Où est le chef-d’œuvre disparu de Léonard ?

Maurizio Seracini, spécialiste de l’analyse scientifique des œuvres d’art, a commencé d'ausculter les parois du Palazzo Vecchio à Florence. L'objet de son attention ? La Bataille d'Anghiari, une composition mythique de Léonard de Vinci, que l'on cherche depuis quatre siècles…


Raphael, La Madonna dell’Impannata
à gauche, le tableau passé aux
rayons X montre que dans une
première version, saint Jean-Baptiste
était sur les genoux de Joseph.
Galleria Palatina, Florence © Editech
Dans la querelle qui a récemment opposé les historiens de l’art au sujet de la restauration de l’Adoration des Mages de Léonard de Vinci, un nom a été fréquemment cité, celui de Maurizio Seracini. Cet ingénieur florentin étudie depuis 25 ans les tableaux de maîtres à la demande des musées ou des particuliers. C’est lui qui a découvert un monde caché sous l’Adoration : un bestiaire inconnu, sur la partie droite du tableau, avec un éléphant, des chiens, des chevaux et de nouveaux personnages, qui ont prouvé toutes les hésitations du peintre sur le chef-d’œuvre inachevé. Pour mener à bien ses enquêtes, il a recours à un matériel sophistiqué permettant la thermographie, l’échographie, la photogrammétrie. L’ingegnere Seracini s’est maintenant lancé dans une quête qui, si elle aboutit, fera grand bruit. L’objet de ses recherches n’est rien moins que la Bataille d’Anghiari. «Cette fresque était considérée, par ses contemporains, comme le chef-d’œuvre absolu de Léonard, en termes de composition, de couleurs, de qualité du dessin. On la tenait même pour supérieure à la Cène…» L’emploi du passé se justifie. La Bataille d’Anghiari, peinte entre 1503 et 1505 à Florence, a disparu lors des réaménagements effectués au Palazzo Vecchio par Vasari en 1565. «Vasari a transformé tout le grand salon. Il était lui-même un admirateur de l’œuvre et il ne reste qu’à espérer qu’il ne l’ait pas détruite. Selon les témoignages écrits dont nous disposons, le centre de la composition, la Conquête de l’étendard, devait mesurer environ 5 mètres sur 4, soit une vingtaine de mètres carrés. C’est l’unique partie de la fresque peinte par Léonard lui-même et elle représente probablement un tiers de l'ensemble. Mais la surface que nous avons à étudier est de 2500 mètres carrés…»


Otto Marseus, Nature, détail de la signature
de l'artiste et de la date en bas à gauche du
tableau, qui n'apparaît qu'à l'analyse à l'infra-rouge
Galleria Palatina, Florence. © Editech
Comment s’y prendre pour ausculter les murs du Palazzo Vecchio ? «En réalité, c’est un travail que j’ai commencé il y a 25 ans ! A l’époque, après des études d’électronique et de médecine, je me suis très vite intéressé aux technologies appliquées au patrimoine. En 1975, Carlo Pedretti, grand spécialiste de Léonard, qui travaillait justement à un ouvrage sur la Bataille d’Anghiari, m’a interrogé sur l’existence de techniques particulières pour rechercher des traces de peinture. J’ai étudié deux ans les murs du Palazzo Vecchio. Sans résultat…» En un quart de siècle, les techniques ont beaucoup évolué. Seracini, qui est aujourd’hui à la tête d’une société spécialisée, Editech, opère avec des outils bien plus performants. «Nous utilisons par exemple le radar. Il y a 25 ans, il servait à déceler des présences, de grandes figures. Il s’est beaucoup affiné. De même pour les méthodes acoustiques ou pour la thermographie. La thermographie permet d’enregistrer la chaleur émise par une structure murale et de la transformer en images. Chaque matériau ayant une conduction et une inertie thermiques différentes, cela permet de déterminer la structure du mur et la présence ou non d’une fresque cachée…» Toute la difficulté provient de l’interférence avec d’autres sources de chaleur, notamment celle du soleil. C’est pourquoi Maurizio Seracini est souvent aux commandes de ses machines, dans le silence de la nuit, lorsque les mortels dorment depuis longtemps. Difficile de prévoir quand sera découverte la fameuse bataille, si elle l’est jamais. Mais l'ingegner, qui a déjà analysé 2000 œuvres d’art, est muni de l’enthousiasme des explorateurs. Il se donne un an pour mener à bien sa mission…


 Rafael Pic
19.02.2002