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Expositions

Jacques Thuillier
© Françoise Monnin

Baugin, miraculé du 17e siècle

En inaugurant la rétrospective Lubin Baugin, à Orléans, Jacques Thuillier redonne à la profession d'historien d'art tout son éclat.

«Il y a tout à faire. Si je pouvais recommencer, je travaillerais sur la seconde moitié du 19e siècle, de 1840 jusqu'à 1914. Il y a des trésors tout neufs à découvrir, de très bons peintres qui sont actuellement inconnus. Je regrette de ne pas avoir le temps de les étudier» . Visiblement épanoui, le célèbre professeur honoraire du Collège de France ne boude pas son plaisir de chercheur. A soixante-dix ans passés, celui qui a initié la redécouverte du 17e siècle français - la réhabilitation de Georges de La Tour, notamment, mais aussi celle de Bourdon ou de Bellange - signe aujourd'hui le catalogue raisonné du peintre Baugin. Avec quel enthousiasme ! Il y a quelques mois, encore, il épluchait les actes de naissance de la ville de Pithiviers, afin de donner précisément l'âge de l'artiste. A Orléans, il a réuni 54 des 75 toiles de Baugin actuellement localisées. «Il y a vingt ans, on n'en connaissait qu'une quinzaine» souligne Annick Notter, conservatrice du musée.


Lubin Baugin, Nature morte à l'échiquier,
huile sur toile, Musée du Louvre
© Musée du Louvre
L'exposition permet de mieux cerner l'itinéraire (c.1610-1663) d'un jeune homme de bonne famille, peintre de natures mortes à Saint-Germain-des-Prés, puis peintre d'église, à l'issue d'un séjour à Rome. Les modèles de Raphaël et de Guido Reni lui ont permis de basculer d'un maniérisme raffiné dans un classicisme délicat. Avant Rome, «chez Baugin, tout est en ordre. C'est un état d'esprit». Les quatre natures mortes désormais célèbres (grâce au roman de Pascal Quignard, Tous les matins du monde, devenu un film d'Alain Corneau), présentées au centre de l'exposition, en attestent. Juste après Rome ? «Un moment de perfection qu'on ne trouve alors pas en France» : les Vierge à l'enfant veloutées, soigneusement dessinées sur des panneaux de bois précieux, enchantent. Puis viennent les grandes compositions - les figures de martyrs pour la cathédrale Notre-Dame-de-Paris notamment - élaborées autour de torses d'hommes splendides. Leur grâce fait oublier les yeux révulsés, les profils trop extatiques, de certaines figures féminines. «Que le peintre soit moins fait pour conter une histoire que pour charmer par un poème, Baugin semble s'être pénétré de cette idée fort tôt».

Jacques Thuillier se prête volontiers aux questions des journalistes réunis pour l'occasion. Ici, il raconte une récente vente aux enchères, à Belfort, à l'issue de laquelle un Baugin adjugé 800 000 francs a quitté le territoire français sans encombres. Là, il explique comment des particuliers ont récemment découvert chez un brocanteur un autre Baugin. Il m'affirme qu'il «y a beaucoup de peintres admirables dont on aimerait avoir un tableau près de son lit. Beaucoup. Qui, par exemple ? Mauzaisse (19e siècle), ou Sécheret (20e siècle) ! Je ne crois aux propos d'un critique d'art que s'il a acheté de ses propres deniers une œuvre de l'artiste dont il fait l'éloge». Un autre critère ? «La gentillesse ! les artistes sont souvent d'une sensibilité incroyable. Pour travailler avec eux, il faut être gentil». Après une conversation avec Jacques Thuillier, on a envie d'être gentil, très gentil. Et de refaire, en sa compagnie, toute l'histoire de l'art occidental…


 Françoise Monnin
21.02.2002