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LVMH : lâcher Phillips pour attaquer Sotheby’s?

Bernard Arnault vient d’annoncer la cession de Phillips, la maison de ventes aux enchères acquise en 1999, à ses actuels dirigeants. Une manœuvre de diversion ou le début d’un retrait généralisé du monde de l’art ?

Le temps des achats boulimiques est terminé. Devant l’érosion de la valeur de l’action LVMH et la chute du bénéfice avant impôt (-20% en 2001, à 1,56 milliard d’euros), le temps des mesures énergiques semble venu. LVMH a revendu, il y a quelques semaines sa banque en ligne Zebank à un concurrent anglais autrement mieux portant, Egg. On suppute, dans le cadre de cette mise à plat des participations, une possible mise sur le marché de DFS, la chaîne de boutiques hors taxes, et de Sephora, l'enseigne de parfumerie grande surface. Pour l’heure, c’est au tour du pôle art de se trouver dans l’œil du cyclone : LVMH poursuit son désengagement de la maison d’enchères Phillips, qu’il avait achetée en 1999. Le cas de Phillips UK avait déjà été réglé à l’automne dernier, LVMH en ayant cédé 50,1% des parts à Bonhams. L’accord annoncé hier concerne la branche internationale de Phillips. LVMH en transfère le contrôle, pour un montant non révélé, au management actuel, composé de Simon de Pury et Daniella Luxembourg. La multinationale française conserve cependant 27,5% du capital. Simon de Pury et Daniella Luxembourg, qui en détenaient jusqu’à présent 25%, montent à 72,5% mais annoncent l’entrée imminente d’un nouvel investisseur : Louise McBain, qui a fait fortune en créant il y a 14 ans Hebdo Mag Group, une entreprise d’édition canadienne, spécialisée dans les journaux de petites annonces, qui contrôle aujourd’hui près de 300 titres à travers le monde.

Bernard Arnault avait acheté Phillips en novembre 1999 pour 87 millions d’euros. La maison anglaise, fondée en 1796, tirait alors l’essentiel de ses revenus du segment milieu de gamme. Déçu de n’avoir pu mettre la main sur Sotheby’s (alors que son alter ego, François Pinault, venait d’acquérir Christie’s), Bernard Arnault a choisi une stratégie risquée : muer le benjamin des ventes, ancré sur son marché national, en un colosse international, concurrent des deux grands auctioneers sur les ventes de prestige. Selon les analystes, Bernard Arnault aurait englouti jusqu’à 250 millions de dollars dans cette opération. Pourquoi de telles sommes ? Pour ouvrir des bureaux, recruter à prix d’or des experts (débauchés chez les concurrents et payés jusqu'à 1,2 millions de dollars par an) mais surtout pour s’assurer des collections importantes et prouver ainsi que Phillips était bien entré dans la cour des grands. Des garanties astronomiques – la somme que Phillips s’engageait à verser au vendeur quel que soit le résultat de la vacation - auraient été engagées pour s’emparer des collections Smooke, Berggruen et Heiner lors des ventes d’automne à New York. Malgré les excellents résultats enregistrés – plus de 100 millions de dollars de ventes – Phillips en serait sorti avec un solde lourdement négatif.

Ce retrait annonce-t-il un mouvement identique dans toutes les filiales de LVMH opérant dans le secteur de l’art, de «Connaissance des Arts» au mécénat des grandes expositions dont le Matisse-Picasso, qui doit s’ouvrir en au Grand Palais ? Ce serait le corollaire logique d’un recentrage sur le luxe et la mode. Chez Artprice, leader des bases de données sur les résultats de ventes, dont LVMH détient 17% du capital, on dément catégoriquement. «Bernard Arnault est un prédateur, estime Thierry Erhmann, son président. Il est fasciné par le marché de l’art et croire qu’il puisse s’en retirer ainsi est une douce utopie. François Tajan, dont l’étude, la première de France, appartient aussi à LVMH, ne s’est pas exprimé à ce sujet. Mais son service de presse, pour couper court aux rumeurs, nous annonce que «la vente des parts de LVMH dans Tajan n’est pas d’actualité». A la direction de Phillips France, que nous avons contactée, on ne fait pas de commentaires. Selon nos informations, des négociations seraient en cours entre LVMH et Alfred Taubmann, principal actionnaire de Sotheby’s, pour la prise de contrôle de cette dernière. Un mandat d’achat aurait été confié à une grande banque d’affaires et Bernard Arnault ne se serait défait de Phillips que pour éviter de tomber sous le coup de l’article 83 du Traité de Rome, sanctionnant l’abus de position dominante. Une hypothèse démentie avec force, mardi, par Simon de Pury lors de la présentation de l’accord, et qui, si elle s’avérait fondée, achèverait de désorienter les analystes financiers. Où va LVMH?


 Rafael Pic
21.02.2002