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Expositions

Peaux-Rouges et chambre noire

Les Indiens d’Amérique vus par leurs contemporains au début du 20e siècle, mais aussi par eux-mêmes : c’est le thème qu'explore le National Museum of the American Indian.


Chef White Quiver, Piergan
(Blackfeet) s'adressant au
conseil
, ca. 1912. Glacier
National Park. Photo : Roland
W. Reed, NMAI Collection
L’idée est venue tout d’abord de réaliser un livre. Édité par Tim Johnson, photographe et journaliste, il a été écrit par Natasha Bonilla Martinez et Rick Hill, également commissaires de l’exposition. Deux cents photographies ont été extraites des archives du National Museum of American Indian, qui en contiennent 125 000. Les images sélectionnées comprennent quelques œuvres récentes d’artistes indiens contemporains, mais l’essentiel est daté de 1850 à 1930.


Portrait de Goyathlay (Geronimo,
Chiricahua Apache), Arizona
,
1887. Photo : A. Frank Randall.
Gen. Nelson A. Miles Collection
of NMAI
«Le but est d’inviter le public à regarder ces images du point de vue du photographe, mais aussi dupoint de vue de celui qui est photographié, de faire entendre sa voix.» précise Natasha Bonilla Martinez. On peut, par exemple, admirer deux images de Geronimo (1825-1909). Cet Indien entré dans la légende en combattant pour sa tribu dans le sud-ouest des Etats-Unis. Un portrait de Geronimo en guerrier pris en 1887 et plus tard en 1896 en personne ordinaire portant des vêtements américains reflètent les deux facettes d’un même sujet et l’orientation que le photographe a voulu en donner. Ainsi, une série de clichés du début du 20e siècle a été réalisée dans le dessein d’offrir une vision romancée des Indiens. Avec force plumes, tomahawks et autres attributs, ceux-ci posaient de leur propre volonté dans des situations reconstituées pour «faire plus vrai». Chef White Quiver, Piergan (Blackfeet) s'adressant au conseil prise en 1912 dans le Montana, par Roland W. Reed, en est la parfaite illustration. Sur un fond de paysage montagneux idyllique, un chef de tribu, en tenue traditionnelle, tient conférence devant les siens accroupis devant un tipi. «L’Amérique alors n’était plus en guerre, les réserves existaient déjà et les gens voulaient regarder leur passé d’une façon romantique.» remarque Natasha Bonilla Martinez. Edward Curtis était le grand photographe de cette époque. «Ces images sont très familières aux Américains précise Rick Hill, lui-même d’origine indienne. Nous essayons de les placer dans un contexte différent, pour que les gens leur portent un regard nouveau. Ces sujets sont devenus des icônes hors de toute réalité. C’est aussi une occasion pour nous les Indiens de nous regarder, au-delà de ce qu’un photographe a voulu présenter...».


Lela Ware, Paul Zumwalt et Trecil
Poolaw (Kiowa)
, 1928. Mountain
View, Oklahoma. Photo : Horace
Poolaw
Un autre ensemble réalisé par un inspecteur du «U.S. Government Indian Agency», Churchill C. Franck et sa femme Clara, entre 1899 et 1907 propose une vision bien plus documentaire. «Ensemble, Franck et sa femme, ont voyagé à travers le pays et ont réalisé un nombre considérable de photographies. explique Natasha Bonilla Martinez. Franck était très religieux. Il voulait «civiliser» les Indiens et les intégrer à la culture européenne et américaine. Ces photographies sont des témoignages poignants de cette volonté. On voit des enfants emmenés dans des pensionnats, des familles réimplantées...». Un groupe de photographies prises lors d’expéditions archéologiques de 1918 à 1923 au Nouveau-Mexique est également présenté. Sur ces images, sont juxtaposées les vies d’alors mais aussi celles, ancestrales, révélées par les fouilles. Enfin, toute une série d’œuvres récentes sont rassemblées pour insister sur la différence entre le travail documentaire et le travail artistique et montrer des portraits d’Indiens par eux-mêmes. «C’est une exposition qui parle de nous, les Indiens, pas seulement de photographie...» conclut Rick Hill.


 Laure Desthieux
28.02.2002