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Marché

Ode funèbre à David Sylvester

Sotheby's disperse la collection hétéroclite du plus célèbre critique d'art anglais de l'après-guerre.


David Sylvester à Gujarat, 1993
© Sotheby's
Cette collection composite ne peut manquer de surprendre tant elle «colle» peu à la réputation d’un homme connu pour ses prises de position dans le domaine de l’art de la seconde moitié du 20e siècle. Né à Londres, David Sylvester (1924-2001) quitte l’entreprise familiale spécialisée dans le commerce d’argenterie après une «révélation» : la découverte d’une reproduction en noir et blanc de La Danse de Magritte. Dès lors, il s’engage pour défendre les artistes contemporains. Comme l’explique Robert Rosenblum en préface du catalogue «David était un évangélisateur qui, dans les années 60, pouvait persuader le public britannique de regarder avec compréhension les œuvres de Moore, Giacometti et Bacon, grâce à sa prose vive et claire, un rayon lumineux qui perçait le brouillard du jargon des critiques d’art».


Willem De Kooning,
Sans titre (femme),
fusain signé, 31 x 20 cm
Estimation : 20 / 30 000 £
Des 150 lots mis en vente par Sotheby’s, une trentaine, presque tous offerts au critique par les artistes, rappellent cet engagement. Ce sont les œuvres d’Américains auxquels il avait consacré des interviews, récemment réunies dans une publication, comme Claes Oldenburg avec une Hache et une Scie au pochoir (5 000 £) ou Barnett Newman avec une estampe sans titre de 1968 (15 000 £). Ce sont également des œuvres graphiques de Picasso ou Miró qui lui dédia une Composition (8 000 £) aux crayons de couleur : «Cordialement pour David Sylvester, en hommage à sa clairvoyance pour ce que nous aimons». Parmi ces créations, il faut noter un ensemble de cinq fusains de Willem de Kooning, estimés chacun autour de 15 000 £. Ils témoignent de l’amitié qui liait les deux hommes depuis leur rencontre à New York, en 1960, à une époque où l’expressionniste abstrait travaillait sur ces figures féminines tout en cherchant à s’abstraire du sujet pour mieux en saisir les formes.

À côté de ces œuvres modernes, on trouve une grande variété d’objets acquis lors de ventes publiques ou auprès de galeristes : une Figure de Mentuhotep III représenté en Osiris (200 000 £), un torse bouddhiste en grès rouge Gupta (60 000 £), un Autoportrait gravé de Rembrandt avec Saskia (1 500 £), des masques Yoruba ou Dan, des fragments de tapis ottomans, un ensemble de céramiques néolithiques chinoises ou une étonnante harpe-luth créée vers 1820 par Edward Light (200 £). Malgré cet effet de surprise, la vente devrait profiter de l’hommage que Londres rend actuellement au «plus grand auteur de langue anglaise sur l’art moderne», pour reprendre les termes du Daily Telegraph. Ce début d’année 2002 sonne en effet comme un second enterrement pour David Sylvester. Depuis un mois, la Tate Modern consacre trois salles à une rétrospective dont le titre a été composé comme celui d’une plaque funéraire : «Regarder l’art moderne. En souvenir de David Sylvester». Et le 15 février, le même établissement organisait une grande conférence à laquelle participaient ses amis et collègues ainsi que le directeur des lieux, Nicholas Serota. Il faut à présent attendre pour savoir si les 150 lots de la collection atteindront l’estimation d’1 millions £…


 Zoé Blumenfeld
26.02.2002