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Expositions

Barcelone se met à l'heure khmère

Durant trois mois, la collection Feuerle, l’un des plus importants ensembles privés d’art khmer, confie ses trésors à la fondation Godia de Barcelone.


Vishnu, style Kho Kher,
10e s. © Fondation Godia
La qualité des pièces exposée révèle des critères de sélection extrêmement rigoureux de la part du collectionneur allemand, Désiré Feuerle : «L’ensemble compte des pièces d’art thaïlandais, chinois, vietnamien et khmer, toutes de conception minutieuse et présentant des états de conservation hors du commun. Élevé dans une famille de collectionneurs, j’ai très vite été gagné par l’amour de l’art, commençant par des objets en argent pour ensuite me spécialiser dans l’art khmer de l’ancien Cambodge. Après des études chez Sotheby’s à Londres, je me suis rendu à New York. À Cologne, j’ai ouvert ma propre galerie où je suis devenu conseiller artistique des collections privées européennes et américaines » explique Désiré Feuerle. Parmi les premières œuvres réalisées au 6e siècle, les pièces en brique et en bois restent les plus rares. D’inspiration hindouiste ou bouddhiste, la période pré-angkorienne pose les marques d’un langage qui sera repris par les styles postérieurs. La finesse du traitement et la recherche de vérité plastique et anatomique caractérisent le travail de ces sculpteurs anonymes. Les pièces présentées dans l’exposition proviennent de grands sanctuaires, tous identifiables par des styles différents. L’horreur du vide est à l’origine de la tradition décorative des temples khmers : bas-reliefs et rondes-bosses reproduisent inlassablement les images de Naga, serpent mythique aux sept têtes qui protègent Bouddha dans ses méditations, ou encore des figures de lion, d’éléphant et de taureau, animaux symboliques par excellence. « La sélection des œuvres a été difficile. Toutes les pièces sont de qualité exemplaire. Parmi les personnages les plus représentés, Bouddha reste la figure maîtresse» précise le collectionneur.


Ganesh, Style Bayon,
13e s. © Fondation Godia
« La Divinité masculine du 8e siècle reste le plus ancien témoignage de l’art du bronze de cette période. On ne retrouve ce mouvement corporel dans aucune autre figure ». Le sanctuaire de Koh Ker, construit dans un style qui porte son nom (921-945), s’élève à 85 kilomètre au nord d’Angkor. Les sculptures qui ornent le monument révèlent une volonté de représenter la vie. Le sourire et la finition du drapé de Vishnu, créateur et destructeur du monde, œuvre en pierre du 10e siècle illustrent ce raffinement. Banteay Srei (967-1000), petit temple dédié à Shiva, construit par le brâhmane de sang royal, Yajñavarâha, annonce l’apogée de l’art khmer avec des sculptures en grès rouge particulièrement soignées. Il n’est donc pas étonnant qu’André Malraux y ait prélevé sept pièces destinées à être vendues aux Etats-Unis. Plus tardif, le temple de Baphuon présente des figures minces et gracieuses à l’image de cette statue en pierre du 11e siècle. La déesse, vêtue d’un pagne au drapé fluide, se tient debout sur un chapiteau de colonne. Les expressions de son visage illustrent à la fois la douceur et une grande force de caractère. En prolongement du style du Baphuon, le style Angkor Vat (1100-1175) caractérise les pièces provenant des temples de Baneay Samre, Thommanon ou encore Chau Say Tevoda.

Un retour vers le réalisme devient visible dès le style de Bayon (1180-1230). Deux sculptures en bronze, le Dieu des architectes ou encore Ganesh témoignent de cette nouvelle esthétique. La divinité à tête d’éléphant se tient dans la position traditionnelle du protecteur des foyers, la main gauche présentant une offrande et la trompe indiquant les obstacles. Le regard ourlé, un collier imposant, une coiffure sophistiquée et une hache sur l’épaule caractérisent le dieu des architectes. «La collection présente un nombre important de pièces en bronze auxquels s’ajoutent des figures en pierre et en bois, exposées pour la première fois en Espagne». Selon la volonté du collectionneur, les œuvres sont présentées sans texte explicatif laissant ainsi au visiteur la liberté de découvrir et de s’imprégner d’un art subtil et élégant.


 Stéphanie Magalhaes
21.03.2002