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Musées

Jean-Hubert Martin
© Museum Kunst Palast,
Düsseldorf

Jean-Hubert Martin : «J'ai créé le premier musée d'artistes»

Après deux années passées à la tête du Museum Kunst Palast de Düsseldorf, accompagnées d'initiatives contestées, l’ancien directeur du musée des Arts africains et océaniens tire un premier bilan.

Vous êtes arrivé il y a deux ans à Düsseldorf…
Jean-Hubert Martin, directeur général du Museum Kunst Palast. Je suis entré en fonction en novembre 1999 mais le programme n’a réellement commencé qu’en septembre dernier, après une longue phase de préparation. Il faut savoir que le Museum Kunst Palast est une fusion de deux institutions, le Kunstmuseum et la Kunsthalle. Nous avons rompu avec la séparation «à l’allemande» entre présentation des collections permanentes et espace d’expositions temporaires dans un mouvement qui peut être perçu comme rétrograde mais qui se comprend aisément. Aujourd’hui, une collection, c’est aussi une monnaie d’échange pour organiser des expositions.

Quel bilan dressez vous de votre activité ?
Jean-Hubert Martin. La nouvelle aile du musée accueille des expositions temporaires. Nous l’avons inaugurée en présentant 70 autels religieux du monde entier. Il s’agissait d’analyser le retournement qui s’est opéré avec la modernité. Jusqu’à la colonisation, la religion était un moteur de l’art universel. Depuis, les démarches visuelles qui procèdent de pratiques religieuses ne sont plus considérées comme artistiques mais analysées dans le contexte de l’histoire ou de l’ethnologie. Réunir ces autels qui ressemblent à des installations contemporaines, c’était questionner notre jugement sur les autres cultures. Je crois que le public a bien compris ce propos. Nous avons reçu 84 000 visiteurs au musée pendant la période d’ouverture de l’exposition, avec un grand afflux pour la journée gratuite d’inauguration. Et l’exposition sera présentée à l’automne à Milan, à la Rotonda della Besana, qui réouvrira prochainement ses portes.

Cette exposition inaugurale se devait d’être emblématique de vos projets ?
Jean-Hubert Martin. En quelque sorte. J’avais deux raisons pour proposer cette exposition et elles ont été bien acceptées par le comité. D’une part, c’est un sujet qui m’est cher. Je m’emploie depuis longtemps à interroger la relation de la création contemporaine occidentale aux autres cultures, à faire tomber les barrières que nous avons érigées entre elles. D’autre part, il me semblait important de ne pas ouvrir un établissement en confirmant le succès déjà établi de l’une des grandes célébrités occidentales. J’étais convaincu qu’ainsi, nous attirerions plus l’attention et que nous nous positionnerions de manière plus intéressante sur la carte internationale des musées.

Et en ce qui concerne la collection permanente ?
Jean-Hubert Martin. L’ancienne aile a subi peu de changements. En revanche, nous avons totalement réorganisé la collection. La collaboration avec deux artistes de Düsseldorf, Bogomir Ecker et Thomas Huber, a abouti à la création du Künstlermuseum, le musée d’artistes. Jusqu’ici, les musées étaient organisés par des historiens, des ethnologues ou des collectionneurs mais jamais par des artistes, si ce n’est pour des contributions ponctuelles. Nous, nous voulions que ce soit un statement, une nouvelle taxinomie, pas une démarche expérimentale. Cela a fait pas mal de bruit, ici. Une association des conservateurs allemands, notamment, a réagi violemment en décrétant que l’installation reléguait le musée à un stade pré-scientifique. Une attaque à laquelle, j’ai bien entendu répondu ! Selon moi, la chronologie est une convention qui s’essouffle complètement. Nous ne pouvons voir les œuvres qu'avec nos propres yeux et donc à la lumière de notre contemporanéité. Les tentatives de soi-disante re-contextualisation ne sont que des artifices pour rassurer les dogmatiques. Il me semble bien plus intéressant de renverser le questionnement habituel en se demandant ce que des œuvres anciennes signifient aujourd’hui pour nous. Nous travaillons actuellement à la publication de l’ensemble de ces «échanges»…

Quelles expositions présentez-vous actuellement ?
Jean-Hubert Martin. Au début du mois de février, nous avons ouvert trois expositions. La première consacrée à Wim Delvoye réunit les bétonneuses, les mosaïques de salami, Cloaca, l’installation qui crée de la merde deux à trois fois par jour, actuellement nourrie par l’un des meilleurs restaurants de la ville, ainsi que la série complète des douze vitraux, dont la galerie Nathalie Obadia présente actuellement six exemplaires. Nous présentons également le travail de Ghada Amer, une artiste née au Caire qui mêle des compositions picturales proches de l’expressionnisme abstrait à des broderies dont les fils pendent et dissimulent des images tirées de revues pornographiques. Nous accueillons enfin les deux pièces majeures de la californienne Lisa Lou, la Cuisine que j’avais déjà exposée à la Biennale de Lyon et le Jardin qui a été présenté à la Fondation Cartier. De plus, nous venons d’inaugurer la première partie d’une exposition consacrée aux photographes de Düsseldorf. Elle est consacrée aux créations marquées par des préoccupations sociales et politiques, celles de Becher et puis, à la génération suivante, celles de Gursky, Ruff ou Struth. Au mois de mai, nous présenterons un aspect moins célèbre de cette tradition, celle qui a trait à la narration, à la poésie.

Vous comptez conserver cette double orientation vers l’art «local» et international ?
Jean-Hubert Martin. Nous couvrons un spectre très large qui touche l’art moderne et contemporain, local et international tout en allant vers les autres continents et l’art ancien, pour ne pas trop marcher sur les plates-bandes de la Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen de Düsseldorf, spécialisée dans les classiques modernes. Au mois de juillet, notre exposition «Miro» sera complémentaire de la «Révolution surréaliste» qu’ils accueilleront. À plus longue échéance, nous préparons une exposition intitulée «Dali et la double image», originale par les rapprochements qu’elle opèrera entre des œuvres qui peuvent être lues doublement, de celles de Dali ou d’Arcimboldo à des créations chinoises ou iraniennes.


 Zoé Blumenfeld
12.02.2002