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Patrimoine

Vaux-le-Vicomte, son château, son usine à ordures

Les perspectives monumentales du château de Fouquet sont menacées : un incinérateur de déchets ménagers, actuellement en construction, couronnera l’horizon des jardins.

Le surintendant doit s’en retourner dans sa tombe. Celui qui avait ébloui Louis XIV par son faste – ce qui devait d’ailleurs entraîner sa disgrâce – aurait-il pu imaginer que les abords immédiats de son château seraient un jour déparés par un incinérateur d’ordures ? C’est pourtant ce qui est en passe de se produire. L’usine est située à un kilomètre du château, derrière le canal de la Poele. Elle est placée sur une butte et doit s’élever à 40 mètres du sol. Elle remplace une usine obsolète sur le même emplacement, en beaucoup plus grand, les volumes traités annuellement passant de 45 000 tonnes à 180 000 tonnes. La construction va bon train et, à ce jour, on voit déjà l’installation depuis la coupole et le premier étage du château alors qu’elle n’en est qu’à mi-hauteur. Exception culturelle ? L’usine est construite par Vivendi Environnement qui, dans ses communiqués, affirme ne faire que répondre à une commande du SMITOM. Ce Syndicat Mixte de Traitement des Ordures Ménagères, qui réunit 64 communes des environs, dont Melun, Fontainebleau ou Barbizon, n’a pas proposé d’autres sites malgré malgré l’opposition conjointe des ministères de l’Environnement et de la Culture au projet dans sa forme actuelle. Les services de la Culture, en particulier, l’ont critiqué assez vertement dans un rapport du 9 mai 2000.

La fronde est menée par le propriétaire du château, Patrice de Vogüe, et par le maire de la commune de Maincy, Pascale Coffinet, la seule à émettre un avis discordant au sein du SMITOM. «Poursuivre les travaux en l’attente d’un jugement, c’est dépenser l’argent public en préjugeant de la décision du tribunal», martèle Pascale Coffinet. Pour le maire, les deux problèmes, aussi importants l’un que l’autre, sont la pollution et l’impact sur l’environnement : «Dans un rayon de 4 kilomètres autour de l’usine vivent 100 000 personnes. Avec toutes les affaires récentes - ESB, amiante, etc - on sait que certaines substances s’accumulent et atteignent un seuil de toxicité après 20 ans. Nous avions déjà une usine depuis 20 ans. C’est maintenant une question de santé publique. Ou veut-on nous faire jouer le rôle de cobayes ?» La proximité du château de Vaux-le-Vicomte est évidemment l’autre argument de poids. «On nous dit que des plantations déroberont l’usine à la vue, poursuit Pascale Coffinet. Mais comment faites-vous pour cacher une usine de 40 mètres de haut, qui a une durée de vie de 20 ou 25 ans ? Le peuplier, qui pousse vite, atteint la hauteur de 20 mètres au bout de 20 ans.»

Face à l’extrême difficulté de faire accepter par les populations des incinérateurs, et alors qu’approche la date butoir du 31 décembre 2002 pour l’entrée en vigueur de la directive européenne sur l’émission des dioxines, on comprend que les commanditaires n’aient pas l’intention d’abandonner un projet. Surtout avec un permis de construire en poche… Les 42000 signatures réunies sur une pétition internationale n’ayant pas eu d’effet concluant, le débat s’est déplacé sur le plan juridique. Les deux premiers permis de construire ont été annulés par le tribunal administratif. Le premier l’a été le 21 décembre 2000 pour illégalité externe : la demande n’était pas accompagnée de l’étude d’impact. Le deuxième a connu le même sort le 15 mars 2001 : le demandeur n’était pas propriétaire d’une des parcelles sur lesquelles devait être construit l’incinérateur. Pour le troisième, délivré le 5 avril 2001, le cabinet d’avocats , dirigé – et cela a valeur de symbole – par Corinne Lepage, ancien ministre de l’Environnement, on invoque à la fois l’illégalité externe et l’illégalité interne. Premier argument : la procédure d’expropriation d’urgence des terrains a été menée avec un excès de précipitation puisque le permis de construire a été délivré trois jours seulement après l’ordonnance ! Dans une telle procédure, la mairie de Vaux-le-Pénil, sur le territoire de laquelle est édifiée l’usine, ne pouvait entrer formellement en possession des terrains qu’après un délai de quinze jours. Le vice de contenu se fonde sur l’article R111-21 du Code de l’urbanisme, qui stipule que le permis de construire peut être refusé si la construction porte atteinte au caractère ou à l’intérêt d’un site ou à la conservation de ses perspectives monumentales. Après l’audience du 10 janvier, le tribunal administratif de Melun n’a toujours pas rendu son jugement, ce qui fait le jeu des constructeurs. Pelleteuses et bétonneuses tournent à plein régime, dans l’espoir de mettre les juges et les pouvoirs publics devant le fait accompli : qui oserait décider la démolition d’une usine flambant neuf ?


 Rafael Pic
11.03.2002