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Expositions

Les peintres à leur fenêtre

Des post-impressionnistes aux artistes contemporains, le musée de Roanne offre à ses visiteurs un voyage sur le thème de la fenêtre.


Maurice Denis, Maternité à la
fenêtre
, musée d'Orsay
© RMN
Depuis quand les artistes se sont-ils intéressés au thème de la fenêtre?
Brigitte Bouret, conservateur.
Depuis les théories d’Alberti, dans le De pictura de 1435, relatives à la construction de l’espace, la fenêtre est restée très présente aussi bien dans les recherches de perspective que dans son symbolisme. Après la Renaissance et les peintres du nord, comme Vermeer, il faut attendre le 19e siècle et l’école romantique pour assister au renouveau du thème dans la peinture française. La fenêtre symbolise alors la séparation entre le monde des artistes et celui du spectateur. Le courant impressionniste et ses techniques en plein air délaissent le thème qui ne sera repris qu’au début du 20e siècle par la série des Fenêtres d’Henri Matisse. Ce sont les fauves qui exploiteront au mieux ce sujet : Albert Marquet, Raoul Dufy, Othon Friesz, Charles Camoin ou encore Jean Puy.



« Les fenêtres m’ont toujours intéressé car elles sont le passage entre l’intérieur et l’extérieur. » (Matisse, 1952)

Quels sont les artistes présentés dans l’exposition ?
Brigitte Bouret.
La présentation commence avec trois toiles d’Henri Le Sidaner : Le dessert (1903), Bouquet devant la fenêtre (1936) et Les volets clos (1935). Redécouvert cette année, avec trois expositions en France, l’artiste illustre ici son thème favoris : la fenêtre de sa maison de Gerberoy. Le Thé à Bièvres (1911) d’Ernest Laurent reprend le même traitement pointilliste et introduit le thème du miroir dans les compositions. Parmi les Nabis, citons Maurice Denis avec Maternité en Bretagne (1899) prêtée par le musée d’Orsay ou encore Bonnard avec Vue du balcon sur le Seine et Fenêtre ouverte au Grands-Lemps (1923). Émule de ce dernier, Henri Lebasque est présenté par Deux femmes sur un balcon (1925-26) et Nu (1936), deux toiles qui témoignent de l’intérêt des fauves pour le thème de la fenêtre entrouverte. L’exposition prend également en compte les œuvres contemporaines. Vincent Bioulès et Pierre Buraglio, principaux acteurs de « Support-Surface », ne pouvaient être exclus de cette présentation. Bioulès rend hommage à Matisse dans des créations abstraites comme Peinture (1973) ou dans un style plus figuratif comme Fenêtre à la mappemonde (1979-80). Le châssis de fenêtre de Pierre Buraglio dépasse la réflexion picturale de la toile peinte.


Pierre Buraglio, Fenêre
Saint-Etienne, musée d'Art
moderne
© ADAGP
Comment s’est effectuée la sélection des œuvres ?
Brigitte Bouret.
Nous avons voulu présenter des artistes ayant réellement consacré une part de leur œuvre au thème de la fenêtre. L’exposition du musée de l’Annonciade en 1977, D’une fenêtre à l’autre, avait déjà abordé ce sujet. Malheureusement pour nous, les prêts d’œuvres du 20e siècle deviennent de plus en plus problématiques. Il est aujourd’hui devenu très difficile d’obtenir une toile de Matisse. Notre sélection ne se contente pas d’accumuler, elle prend en compte différents points de vu : Marius Borgeaud, ami de Vallotton consacre toute son œuvre à des vues intérieures autour de la fenêtre comme en témoigne Femme au comptoir (1921). Boutet de Monvel s’illustre dans une série sur New York mettant en scène des façades de buildings qui l’ont marqué à son arrivée dans la ville en 1926. Michel Granger, célèbre pour les couvertures de disques de Jean-Michel Jarre, puise ses sujets dans l’environnement parisien ainsi Sans domicile fixe (1995) illustre une vue nocturne d’un immeuble parisien. Maurice Denis utilise la fenêtre dans un tout autre rôle, celui des couvents dans Prise de voile (1933). Le thème est ainsi décliné sous différents aspects.

Que peut-on conclure d’une telle exposition ?
Brigitte Bouret.
Ce type de sujets croisés demande beaucoup de travail, mais apporte des éléments intéressants aussi bien pour les amateurs que pour les connaisseurs. Les quarante pièces présentées témoignent de l’évolution picturale du 20e siècle et permettent de découvrir des artistes et des œuvres peu connus comme Le bouquet à Djenan Sidi-Saïd (1945) de Marquet ou encore la Vue du balcon sur la Seine de Bonnard. Sous le pinceau de Matisse, la fenêtre revêt une nouvelle symbolique, très éloignée des recherches de points de fuite de la Renaissance. Borgeaud s’illustre dans les intérieurs en aplats alors que la persienne, les volets en biais et les coins de balustrades deviennent des éléments récurrents dans les toiles du 20e siècle. L’exposition explique cette remise en question de l’héritage de la Renaissance et présente la diversité des recherches effectuées par les peintres en trente ans de création.


 Stéphanie Magalhaes
08.04.2002