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Suzette Glénadel : «Les films sociologiques, c'est plus fort que la fiction»

Pour la 24e année consécutive, la bibliothèque du Centre Pompidou accueille le festival international de films ethnographiques et sociologiques.


© Cinéma du réel, BPI
Quelle est l’histoire du festival ?
Suzette Glénadel, déléguée générale responsable du festival.
Le festival est né il y a 24 ans, presque en même temps que le Centre Pompidou. En février 1977, le centre était créé avec la BPI, la première bibliothèque française à conserver des documents audiovisuels auprès des livres. En 1978, nous avons accueilli le festival «L’homme regarde l’homme». Nous avous eu des problèmes avec leurs organisateurs et l’année suivante, nous avons créé notre propre manifestation destinée à alimenter les fonds et à les mettre en valeur.

Quel est le rapport entre le festival et les fonds de la BPI ?
Suzette Glénadel.
Depuis le début, la bibliothèque a acquis les droits des films sous-titrés en français. Aujourd’hui, avec le marché des cassettes, l’utilité du festival pour la constitution d’un fonds documentaire n’est plus la même mais nous continuons à acheter les droits d’une trentaine de films par an pour la BPI et pour le réseau des bibliothèques. Ce sont des droits pour 10 ans car nous ne sommes pas un lieu de référence : nous nous contentons des «nouveautés».

Quelles ont été les autres évolutions du festival ?
Suzette Glénadel.
À l’origine, le festival était gratuit et le public composé de spécialistes. Peu à peu, il a pris de l’ampleur, sans doute aidé par la promotion du ministère des Affaires étrangères, et nous avons connu des modifications de statut. En 1983, nous avons créé l’Association des amis du cinéma du réel qui n’a pas de pouvoir décisionnel mais donne plus de souplesse à la gestion du festival que ce que permettait le budget de la bibliothèque. Malgré tous ces changements, la ligne reste la même, privilégiant le cinéma documentaire de création, et nous sommes devenus une sorte de vitrine.

Quels sont les autres festivals spécialisés ?
Suzette Glénadel.
En France, il y a le Festival du film documentaire de Marseille, créé il y a une dizaine d’années par l’association Vue sur les docs. Mais il a plus de mal à trouver son public. Si la bibliothèque est un lieu difficile, car un festival y est presque une anomalie, elle a aussi assuré une permanence et une indépendance qui manquent à certains festivals de province. Sinon, il y a celui d’Amsterdam, plus important que le nôtre parce qu’il sert de rendez-vous pour le marché, «Visions du réel» en Suisse, «Le festival des peuples» à Florence ou celui de Sheffield…


Images du vieux monde,
Dusan Hanak, 1972
© BPI
Et en ce qui concerne celui du musée de l’Homme ?
Suzette Glénadel.
Quand nous avons créé «Cinéma du réel», Jean Rouch, cinéaste et ethnographe, participait aux réunions et il trouvait que tout aurait mérité d’être montré. D’où l’idée de créer une «poubelle du réel» ! Le «Bilan du film ethnographique» en est maintenant à sa 21e édition et tous les ans, il se tient la semaine qui suit notre festival pour présenter des films que nous n’avons pas sélectionnés ainsi que d’autres, plus spécialisés en ethnographie.

Quelle est l’ampleur du festival ?
Suzette Glénadel.
Tous les ans, nous projetons une centaine de films et, l’année dernière, nous avons fait 15 000 entrées en dix jours. Mais, ce qui nous ravit, c’est que ce soit un public plus large et que nous ayons pu fidéliser des amateurs. Certaines personnes de province prennent même leurs vacances à cette époque pour venir !

Comment s’effectue la sélection ?
Suzette Glénadel.
Cette année, nous avons reçu environ 800 films, 350 français et 450 étrangers. En ajoutant ceux que nous avons vus dans d’autres festivals, on arrive à un millier. Au début, on voulait que tout soit très démocratique et on avait constitué un comité de sélection de cinq ou six personnes… Aujourd’hui, les films étrangers sont en partie signalés par des correspondants et les films français «pré-écrémés» par la BPI mais en dernier recours, c’est moi qui choisis. Je suis là depuis le début mais en 1987, quand je suis devenue responsable du festival, je me suis rendu compte qu’il était important que je sois capable de défendre chacun des films présentés.

Quel est l’impact de ce festival ?
Suzette Glénadel.
La plupart de ces films sont coproduits par la télévision, même s’il existe souvent une version courte qui convient aux programmateurs et une plus longue, celle du réalisateur. Tous les films ont une vie à travers le festival et, après, notre catalogue qui contient des fiches signalétiques très complètes, est diffusé. Cela permet parfois que les documentaires sortent en salle, comme cette semaine, «800 kilomètres de différence», un film de Claire Simon, qui a été plusieurs fois primée ici (pour «Coûte que coûte» ou «Les patients»).

Quelle est l’originalité du programme 2002 ?
Suzette Glénadel.
Lors des éditions précédentes, nous avions consacré des rétrospectives à l’Iran et à l’Asie centrale. Cette année, nous profitons de la saison tchèque pour présenter des films qui ne figuraient pas à la rétrospective du Centre Pompidou en 1996, plus axée sur la fiction. Une cinquantaine de films, dont beaucoup de courts-métrages, retracent les débuts du cinéma documentaire tchèque et slovaque et évoquent la réalité actuelle à travers les «fictions du réel». L’originalité de leur tradition, c’était le mélange entre documentaire et fiction dans les films d’avant-garde des années 1930, l’humour et la causticité qu’on trouvait encore dans les années 1960 mais qui ont disparu avec les normes télévisuelles…

Un dernier mot ?
Suzette Glénadel.
Ce festival illustre la richesse d’un cinéma dont les histoires sont souvent plus fortes encore que celles de la fiction. Ce sont dix jours pour partir à la découverte du monde et des gens. On en sort beaucoup plus riche.


 Zoé Blumenfeld
07.03.2002