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Expositions

Une culture en quête de sens

Le Consortium de Dijon accueille la première rétrospective française du sérigraphe et photographe américain.


Christopher Wool, Incident on the 9th
Street
, 22 x 33 cm
© Consortium de Dijon
C'est une figure emblématique de l'art new-yorkais que fait découvrir le Consortium de Dijon en la personne de Christopher Wool, qui expose pour la première fois en France. On sait le crédit que l'on peut accorder à ce musée qui, au-delà d'une action d'avant-garde menée depuis plus une douzaine d'années, a su récemment faire resurgir certains artistes. Ainsi, l'artiste japonaise rescapée du psychédélisme pop, Yayoi Kusama, que les capitales européennes - Vienne ce mois-ci - s'arrachent depuis l'éblouissante rétrospective présentée en 2001à la Maison du Japon à Paris. On se souvient également du support de maîtrise d'œuvre et d'ingénierie financière originale que le Consortium a apporté à Pierre Huygue au plus grand bénéfice de la représentation officielle française lors de la dernière Biennale de Venise. On s'interrogera donc sur la pertinence de ce peintre-sérigraphe dont les grandes toiles énigmatiques blanches et/ou noires et/ou rouges sont associées, de façon inédite, à une série de 150 polaroïds retraçant les étapes successives de la création d'une peinture, ponctuée par de multiples incidents (de cadrage, reflets etc.). S'y adjoint un groupe inédit de 200 photographies de New York prises la nuit, qui témoignent des liens de l'artiste avec le réel, contrebalançant ainsi l'impression d'une démarche essentiellement abstraite et minimaliste. On note également un ensemble de posters, livres, publications et éditions réalisées par Christopher Wool qui permettent d'approfondir la connaissance de son œuvre.


Christopher Wool, Peinture 329,
274 x 182 cm
© Consortium de Dijon
Les huit grands formats constituent la partie essentielle d'une œuvre peinte où l'artiste, fort de vingt années de pratique plastique et cinématographique, recherche les derniers espaces d'expression possibles. Dans son atelier de Manhattan, Wool utilise la peinture blanche et noire pour recouvrir ses sérigraphies - agrandissements, extraits, citations de ses œuvres précédentes - en s'amusant à effacer pour construire et composer. La rature et la correction sont utilisées pour brouiller et multiplier les significations. Ces superpositions complexes de sérigraphie et de peinture donnent la sensation de motifs plus larges et de gestes plus libres. Depuis peu, l'artiste réintroduit la couleur : le rouge. On baigne ici dans un environnement culturel largement inspiré des ténors que sont Richard Prince, Robert Gober, Martin Kippenberger et Larry Clark. Et, en filigrane, l'ombre d'Andy Warhol plane, omniprésente. Même attrait pour la peinture, la couleur, la sérigraphie, la production au cœur de l'East Village. Avec, peut être, moins de lisibilité et d'universalité que l'artiste pop qui puisait dans des référents puissants (produits de consommation, stars du show bizz, symboliques cultuelles ou religieuses) qui l'imposaient d'emblée. Wool, lui, a expérimenté la peinture avec la nonchalance d'un hère qui retire la couleur puis le geste pour les réintroduire ensuite, de façon systématique : soit fermement au moyen du tampon ou du rouleau d'impression, soit avec la bombe d'un graffiteur, traçant des mots et des phrases de poésie concrète, tirés d'une culture américaine encore trop confinée. Ainsi, un Georges Clinton, plastifiant la toile de surimpositions et de coulures laissant l'impression permanente d'inachevé.

Wool n'aboutit qu'à un radicalisme abstrait qui évacue sensibilité, lyrisme, esthétisme et signifiant pour ne laisser se magnifier qu'une gestuelle d'exécution, un travail du médium peinture, une technique sérigraphique pour s'y cramponner comme seul recours existentiel. Peut-être est-ce là la force emblématique de l'œuvre de Wool par rapport à d'autres artistes de sa génération plus communiquants et plus reconnus comme Jeff Koons ou Cindy Sherman. Mais n'y a t-il pas ici l'expression d'une culture américaine impérialiste et évanescente à la fois dont les récents évènements du 11 septembre sonneraient le manque de sens, de générosité et de vision ?


 Pierre-Antoine Baubion
23.03.2002