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Expositions

Berthe Morisot, belle-sœur de Manet… et davantage

A Lille, une rétrospective longtemps attendue donne à l'artiste la place qui lui revient dans la peinture du 19e siècle.


Berthe Morisot, Jour d'été, 1879,
Londres, National Gallery
Belle jeune femme, aux yeux noirs insondables qui devaient tant plaire à Manet, qui réussit à la peindre plus d’une dizaine de fois, de 1868 à 1874, avant qu’elle ne se décide à devenir sa belle-sœur en épousant son frère cadet, Berthe Morisot ne fut pas uniquement un modèle au charme troublant mais bien un peintre. Ce que l’on oublie souvent. Laissée dans l’ombre de ses portraits étonnants, riche, Berthe Morisot souffre également de ce terrible défaut qui veut qu’elle ne soit qu’une femme «tout juste bonne à élever les enfants». A qui l’on tolère de faire de la peinture, comme d’autres font de la couture. Jamais à l’égal des hommes, qui lui sont tellement supérieurs. Les préjugés à son égard seront terribles.


Berthe Morisot, Autoportrait,
1885, musée Marmottan
De fait, les historiens la négligent pour la réduire au simple rang de «femme impressionniste». Sans jamais vraiment regarder ses tableaux. Alors que sa peinture, de toute évidence, comme le démontre enfin la superbe exposition du palais des beaux-arts de Lille, vaut bien mieux que les quelques lignes condescendantes qu’on lui accorde généralement au bas de la biographie de ses collègues masculins. Il nous faudra désormais l’admettre : Berthe Morisot est bien un peintre et un bon peintre ! Certes, elle a connu Manet, Degas, Renoir, et ne le nie pas. Mais elle sait également inventer, à sa manière, sous les dehors d’une peinture aimable, toujours heureuse, fluide, presque liquide et très à l’aise dans le premier jet, un monde où les enfants, les cygnes, les jardins et les fleurs se mêlent avec bonheur sous le regard inquiet et trop souvent absent des adultes qui les ont vu naître. Une note particulière et indispensable qui manquerait aux impressionnistes et que l’on retrouve dans les yeux de cette femme réservée, silencieuse qui n’hésite pas à se montrer, dans un de ses rares autoportraits, face à nous, le cheveu gris, un léger foulard de soie noire autour du cou, le corsage bordé de fleurs dont l’une fait penser à une «décoration», comme si elle avait tenu à nous transmettre le souvenir d’une femme, fière d’elle-même, mais en uniforme, à la manière d’un Bonaparte au pont d’Arcole.


 Valère Bertrand
11.03.2002