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Les révoltés de l’Unidroit

Après avoir été retirées du musée des Beaux-arts de Bâle par un collectionneur souhaitant réagir à la signature de la convention Unidroit, les chefs-d’œuvre de la collection Staechlin font leur retour en Suisse.


Paul Gauguin, Nafea Faa Ipoipo,
1892, huile sur toile, 101 x 77 cm
© Sammlung Rudolf Staechlin,
Depositum im Kunstmuseum
Basel
Rudolf Staechlin (1881-1946) est l’un des pionniers des collections suisses d’art moderne. Dans les dernières années de la Première Guerre mondiale et au sortir du conflit, cet homme d’affaires fortuné rassemble un large ensemble de toiles de maîtres de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Son «œil» lui vaut bientôt de travailler comme consultant auprès du musée des beaux-arts de la ville. À la fin des années 40, son fils Peter rend hommage à cette collaboration. Il dépose au musée 17 toiles impressionnistes et modernes signées Pissarro, Monet, Degas, Corot, Fantin-Latour, Matisse et Picasso parmi lesquelles Nafea faa ipoipo (Quand te marieras-tu ?) de Gauguin, Le jardin de Daubigny de van Gogh ou la Maison du Docteur Gachet de Cézanne.

Cet état de fait apparemment immuable bascule en 1995. Alors que la Suisse s’apprête à adhérer à la Convention de l’Unesco de 1970 et à la Convention Unidroit de 1995, le petit-fils de Rudolf Staechlin, Ruedi Staechlin, alors directeur de la succursale bâloise de Sotheby’s, monte au créneau. Dans un article de la «Vie économique», il analyse l’attitude libérale helvète comme le seul moyen de conserver une place de centre artistique et fustige une adhésion qui «serait fort dommageable à notre encouragement culturel qui repose sur l’initiative privée». En 1997, en réaction à la signature de la Convention UNIDROIT, il retire la collection familiale du musée des beaux-arts pour la déposer au Kimbell Art Museum de Forth Worth. «Cela a été un vrai choc pour la plupart des gens. Au bout de cinquante ans, ils pensaient que ces toiles appartenaient au musée», explique le directeur de la collection publique de Bâle, Bernhard Mendes Bürgi «Il faut se rappeler d’une histoire qui avait fait beaucoup de bruit ici. En 1967, alors qu’il était question de retirer les deux tableaux de Picasso du musée, les citoyens de la ville en ont voté le rachat, un geste qui avait suffisamment ému le peintre pour qu’il offre quatre autres toiles».


Paul Cézanne, La maison du
docteur Gachet à Anvers
, 1891,
huile sur toile, 60 x 73 cm
© Sammlung Rudolf Staechlin,
Depositum im Kunstmuseum
Basel
Aujourd’hui, les 17 œuvres de la collection réintègrent les salles du musée de Bâle. En quatre années, la famille Staechlin a en effet trouvé un moyen d’exposer ses œuvres sur le sol suisse tout en en préservant la sécurité par leur intégration à un nouveau trust américain. Ruedi Staechlin agrémente ce retour médiatisé de déclarations officielles. «Le fait que le conseil fédéral favorise la dépossession de biens culturels privés dans le cadre de la loi de transfert des biens culturels et qu’il reconnaisse des nationalisations de biens culturels privés opérées sans dédommagement à l’étranger, sont des signes d’alarme trop peu observés par le public, tout comme la remise en cause de la liberté de disposer de ses biens culturels pour une personne ayant prêté ses œuvres. Le canton de Bâle, d’une part, et le musée d’art de Bâle, d’autre part, ont pris leurs distances par rapport à ces projets néfastes pour la culture et ont en revanche mis en place des mesures équilibrées destinées à combattre ces abus. »

Du côté du musée, pourtant, on se contente de souligner l’importance des œuvres pour la collection. «Tout cela n’a que peu d’intérêt aujourd’hui», poursuit Bernhard Mendes Bürgi. «Ce qui compte c’est que nous ayons trouvé un moyen de présenter à nouveau ces toiles qui viennent renforcer notre collection et qui constituent un beau point de départ pour notre collection consacrée à l’art moderne».


 Zoé Blumenfeld
13.03.2002