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Comment David a survécu à Niobé…

Le peintre projetait de se suicider après l’échec de sa Niobé au Salon. Ce tableau, estimé 2,3 millions d’euros, passe aujourd’hui sous le marteau de l’étude Millon, en compagnie d'autres belles toiles françaises.


Louis David, Apollon et Diane perçant
de flèches les filles de Niobé
, toile,
121 x 154 cm
«Ce projet hélas était de me laisser mourir de faim». Qui parle ainsi ? Le grand, l’antique, le martial David, à l’annonce du résultat du concours de 1772. Sa composition Diane et Apollon perçant de leurs flèches les enfants de Niobé, dont tout le monde disait le plus grand bien, n’obtint pas le premier prix, décerné à Jombert. Humiliation suprême, elle ne fut pas non plus retenue pour le second premier prix, exceptionnellement octroyé cette année-là, et qui échut à un certain Lemonnier. Le jeune artiste de vingt-et-un ans oublie de souper, s’enferme dans sa soupente et attend la mort. Il faudra que son ami Sedaine trouve les bonnes paroles - «Mon ami, quand on fait un pareil tableau on doit s’estimer plus heureux que ceux qui l’ont emporté sur vous» - pour que le génie ombrageux change de parti…


Guy François, Saint Bruno au
pied de la Vierge à l'enfant
,
79 x 59 cm
Cette fameuse Niobé arrive aujourd’hui en vente à l’hôtel Drouot, par le ministère de l’étude Millon. Pour Chantal Mauduit, du cabinet Turquin, qui en est l’expert, «il s’agit d’un tableau magnifique. Il n’a eu que deux propriétaires, ce qui explique son excellent état de conservation : le médecin de Louis XVI, le docteur Andry, jusqu’à la mort de celui-ci, en 1829, puis la famille du lieutenant-colonel d’Hérouville, dont les descendants s’en séparent aujourd’hui dans le cadre d’un partage testamentaire.» Le thème, cruel, est rapporté par Ovide dans ses Métamorphoses : pour avoir mis en cause la divinité de Latone et raillé sa médiocre fertilité, la malheureuse Niobé, autrement plus procréatrice, est condamnée à voir ses quatorze enfants périr, jusqu’au dernier, sous les flèches d’Apollon et de Diane, les deux uniques fils de sa rivale.

«Nous estimons ce tableau entre 2,3 et 3 millions d’euros, poursuit Chantal Mauduit. C’est une œuvre charnière dans la carrière de David, pour l’ambition de la composition et parce qu’il se détache du baroque et annonce déjà le néo-classicisme, notamment dans sa partie gauche. Cette estimation est en ligne avec le résultat obtenu par le tableau de David passé en vente il y a quelques années, le Portrait de monsieur Ramel, qui a été adjugé 15 millions de francs.» David est en bonne compagnie française dans cette vente, avec un petit Sébastien Bourdon, Sanson et le lion, un Portrait d’homme barbu de Noël Hallé et un Saint Bruno au pied de la Vierge à l’Enfant de Guy François (1578- après 1650). «C’est un peintre que l’on redécouvre depuis vingt ou trente ans. Il est marqué par le maniérisme mais c’est l’un des premiers représentants du caravagisme français.»


 Rafael Pic
18.03.2002