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Expositions

Lewis Hine, un photographe engagé

La galerie Baudoin-Lebon expose les clichés de Lewis Hine, exécutées pour le National Child Labor Committee, de 1908 à 1918. Découverte d’un pionnier de la photographie sociale.


Lewis Hine, Groupe posant devant
un bâtiment. S.d.
© Harry Lunn
Estate, Baudoin Lebon, Paris.
Dès l’invention de la photographie, officialisée en 1839, ses potentialités dans le domaine documentaire ont été immédiatement perçues. Pourtant, il faut attendre la fin du 19ème siècle pour voir l’émergence du document social. Plusieurs facteurs expliquent cette lente genèse, le principal étant certainement une déficience des premières techniques photographiques. Le daguerréotype est en effet peu propice à la reproductibilité de l’image et donc à sa diffusion. Le calotype se caractérise, quant à lui, par un manque de netteté et un temps de pose long, peu compatibles avec la précision et la spontanéité de la prise de vue que requiert l’image documentaire. L’invention du papier albuminé, procédé économique et offrant une reproduction facile de l’image photographique, conjuguée à l’arrivée de la similigravure et au développement de la presse illustrée, autorisent une diffusion plus large de l’image photographique. Mais celle-ci n’investit le terrain de l’engagement socio-politique qu’à l’initiative des mouvements progressistes, en plein essor en cette fin de siècle. Quelques photographes, tels que Hill et Adamson, avaient déjà décrit au travers de séries, le mode de vie des classes laborieuses. Jacob Riis, toujours aux Etats-Unis, est le premier à prendre la mesure du poids du médium photographique. Reporter au New York Herald, Riis s’attache à témoigner des conditions de vie de l’immigration américaine, de l’insalubrité de la ville moderne. Ses photographies, ainsi que ses articles et conférences contribuent à une prise de conscience collective et débouchent sur une action politique.


Lewis Hine, Hazardville, Connecticut,
8 octobre 1917. Intérieur d'une remise
à tabac
© Harry Lunn Estate, Baudoin
Lebon, Paris.
Lewis Hine s’inscrit dans cette lignée. Etudiant en sociologie, puis enseignant, il aborde la photographie autour de 1903. Ses premiers clichés sont consacrés aux immigrés européens d’Ellis Island. En 1907, il participe au Pittsburgh Survey et l’année suivante, il s’associe au National Child Labour Committee, organisme gouvernemental créé par des réformateurs, dénonçant le travail des enfants. Dès lors, il parcourt les Etats-Unis afin de dresser un état des lieux des conditions de travail des enfants et d’alerter l’opinion publique. Baudoin-Lebon expose aujourd’hui les clichés de Lewis Hine réalisés de 1908 à 1918. On découvre, au travers de ces petits formats, des enfants, âgés de 3 à 12 ans, travaillant dans les mines, les scieries ou encore les champs de coton, confrontés au travail de nuit et à des travaux harassants et souvent très dangereux. Chacune des prises de vue est accompagnée d’un court texte, replaçant le cliché dans son contexte. Contrairement aux photographies de travailleurs prises en studio dans la deuxième moitié du 19ème siècle, il ne s’agit pas ici de réaliser un portrait archétypal de l’enfant-ouvrier. L’intention n’est pas de gommer les spécificités du sujet mais de le considérer dans sa totalité, posture impliquant une prise en compte de son environnement. Lewis Hine ne fait l’économie d’aucun détail, les enfants sont pris devant leur lieu de travail ou sur le chemin, quand l’employé s’opposait à l’entrée du photographe dans l’enceinte de l’usine. Mais loin d’être des documents dépourvus de tout attrait esthétique, ces images attestent d’une maîtrise parfaite de l’outil photographique, de la lumière et du cadrage, augmentant l’efficacité de ses images. A l’instar de Riis, Hine accompagne ses clichés de conférences et de publications, autant d’actions qui contribueront à l’adoption en 1916, de nouvelles lois. Les bases de ce que Walker Evans, digne successeur de la manière de Lewis Hine, appellera le «style documentaire» sont posées. Le document social connaîtra son apogée dans les années trente, sous l’impulsion d’un autre organisme gouvernemental, la FSA.


 Raphaëlle Stopin
16.03.2002