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Expositions

Le réel à l’épreuve de ses représentations

La galerie Nathalie Parienté présente «Paysages encryptés», derniers travaux du photographe espagnol, Joan Fontcuberta.

La pratique photographique de Joan Fontcuberta s’inscrit dans cette tendance que l’on qualifie de « plasticienne ». Après avoir été investi par l’art conceptuel, le médium fait son entrée dans le champ de l’art. Il ne s’agit dès lors, plus de capturer « l’instant décisif » ou d’enregistrer une quelconque actualité. S’imiscant sur le terrain des arts plastiques, la photographie pour s’affirmer en tant qu’expression artistique autonome va emprunter à la forme picturale. Loin de la prise de vue spontanée, l’image opte pour la pose et la composition. Le format monumental fait parti de cette recherche de parenté. Le tableau photographique est né et voilà l’aura, dont Benjamin avait annoncé la mort, restaurée par l’instrument même de sa perte.


Joan Fontcuberta, Misérables,
(V. Hugo), 1999 cibachrome,
Joan Fontcuberta Courtesy
Galerie Nathalie Pariente, Paris
© Adagp
Journaliste dans les années 1970, Fontcuberta réalise ses premières photographies vers 1974. Co-fondateur du groupe Alabern, de la revue Photovision et éditeur de BCN Fotografia, il apparaît comme le héraut de la renaissance de la scène photographique espagnole. L’image photographique est pour lui un matériau plastique malléable, aux potentialités expressives alors inexploitées. Après avoir mené une réflexion sur la dialectique nature – artifice, il s’intéresse aux relations entre le réel et ses codes de représentation. Deux séries, toutes deux de grand format mais plastiquement fort différentes, sont présentées à la galerie Nathalie Parienté. Sémiopolis et Orogenèse prennent pour thème deux techniques d’encryptage, le braille et les logiciels de topographie militaire. La première série, photographies d’ouvrages en braille, exposée au premier niveau de la galerie, opte pour le noir et blanc. Les pages de grandes œuvres littéraires, d’Hugo à l’Apocalypse selon Saint Jean, prises en plongée, suivant un cadrage resserré et sous une lumière artificielle nous paraissent autant de vues aériennes de quelconques paysages lunaires. Plongés dans le noir mais éclairés par une source lumineuse latérale, leurs moindres reliefs acquièrent un fort pouvoir suggestif et l’on voit se dessiner, collines, montagnes et vallées. Ces pages, si l’on perçoit la spécificité de chacune, demeurent à nos yeux illisibles, et inaccessibles aux seuls qui pourraient les lire. Orogenèse, série en couleur, exploite un autre encodage, permis par des logiciels informatiques autorisant la modélisation par simulation d’un relief. Les informations transmises ici au logiciel n’ont rien de topographiques, il s’agit en fait de données relatives à l’artiste même, son numéro d’assuré social, des résultats sanguins, etc., qu’il juxtapose aux paysages virtuels construits à partir d’elles. Fontcuberta se fait pirate informatique, interrogeant par là et comme précédemment, les rapports, parfois distendus, entre l’objet de référence et sa représentation. Et affirme : tout peut être langage plastique, d’une page en braille à un numéro de compte en banque.


 Raphaëlle Stopin
19.04.2002