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Expositions

Olivier Blanckart, activiste moderne

La galerie Loevenbruck nous offre encore une bonne surprise avec l’exposition des derniers travaux d’Olivier Blanckart, praticien d’un art de l’infiltration.


Olivier Blanckart
Très-Honoré, 2001
Courtesy Galerie Loevenbruck
Qu’en est-il de l’art de la provocation aujourd’hui ? Si la transgression portait jadis sur la forme de l’œuvre, celle-ci n’est désormais plus envisageable tant les critères de goût se sont élargis au fil des décennies. La transgression a donc maintenant lieu sur le terrain, non de l’esthétique, mais du politique et pour se faire, nombre d’artistes investissent la société de communication et s’accaparent les expressions qui lui sont propres. Les média, télévision, radio, presse écrite, deviennent autant d’outils mis à la disposition de l’artiste, garantissant de fait l’impact de l’œuvre réalisée dans ce contexte. Olivier Blanckart fait son entrée dans le milieu artistique au début des années 1990, à l’heure où le Museum in Progress à Vienne, par exemple, propose aux artistes de déplacer le lieu de matérialisation et d’exposition de l’œuvre, du musée au sein même des média. Car Blanckart, à l’instar d’artistes contemporains tels que Mathieu Laurette, veut l’art, interventionniste, mais ne se leurre pas sur l’impact des formes d’art pratiquées depuis les années 1970, qu’il sait réservé à un public averti. L’investissement du domaine public, s’il ressort d’une dénonciation, par l’infiltration, de ce que l’on appellera « la société du spectacle », se veut aussi une volonté de démocratisation de l’art.


Olivier Blanckart
Watch-Angeles, 1999
Courtesy Galerie Loevenbruck
En 1991, Olivier Blanckart devient Jean-Michel, jeune artiste SDF, fraîchement sorti des Beaux-Arts et ne « désirant surtout pas y retourner ». Son personnage s’invite aux vernissages et réclame à l’assemblée « une introduction auprès d’un critique branché » ou encore « une revue d’art à la mode ». Sous forme de performances, Blanckart élabore alors un art critique, abordant le statut précaire du jeune artiste, qu’il défend également au travers du collectif « Les Artistes », dont il est le co-fondateur. La provocation se fait politique lorsqu’en 1998, il présente au musée du casino du Luxembourg, Le Bitty, mettant en scène l’homme d’Etat luxembourgeois sous l’apparence d’un être hybride, mi-homme, mi-cerf, en érection. La galerie Loevenbruck présente une vingtaine de portraits photographiques et ce que Blanckart nomme les remixes, sculptures de papier chiffonné, mousse et scotch. Maître dans l’art du travestissement, l’artiste réalise une série de photographies dans lesquelles il se présente sous les traits de grandes figures de la littérature, de l’histoire de l’art ou du cinéma, choisis parmi son panthéon. Le support s’adapte à son contenu, Moi en Bruce Willis prend place sur un tirage de grande dimension, tandis que Moi en Elton John a été reporté sur une silhouette de carton destinée à la promotion commerciale. Certains des amis de Blanckart se sont prêtés au jeu dont Alberto Sorbelli, « artiste-prostitué », à l’œuvre hautement provocatrice, photographié ici, par une mise en abîme du travestissement, en Warhol as a drag. Les ressemblances sont souvent très convaincantes, mais cela n’est pas le fruit de longues heures de maquillage, l’effet de vraisemblance tient davantage de la capacité de l’artiste à stigmatiser, au travers de signes, de symboles, l’identité du photographié. Le signe vaut alors pour le référent. De même, dans ses sculptures, reconstituant les clichés les plus célèbres de l’histoire de la photographie, tels que celui présentant la mort du Che, les nus féminins de Newton ou encore la Dépression selon Walker Evans, l’approximation est de mise. Le modelé ne se veut pas fidèle mais suggestif, en témoigne la pauvreté du matériau qui ne permet de rendre qu’un volume grossier. Les quasi-objets présentés simultanément au musée de l’Objet de Blois, relèvent de la même démarche métonymique, suggérant un objet par son approximative réplique. Mais cette transposition, loin de galvauder l’image ou l’objet de référence, restaure sa force initiale, en le soustrayant au flux médiatique pour lui conférer une singularité nouvelle.


 Raphaëlle Stopin
15.04.2002