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Politique culturelle

Francfort, le portique de la discorde

Après dix années de débat, la ville allemande n’a toujours pas tranché. Faut-il ou ne faut-il pas reconstruire l'ancienne bibliothèque néo-classique, dont le «Portique» est l'ultime vestige?


Vue du Portikus
© Portikus
En plein cœur de la ville de Francfort, dominant le Main, le «Portique» trône depuis 1951, dernier souvenir de la bibliothèque néoclassique construite en 1820 par Johann Friedrich Christian Hess. Comme une bonne partie de la ville, le bâtiment public a subi de plein fouet les ravages de la guerre. En 1944, une bombe a abattu un angle, un feu a ravagé les intérieurs, une seconde explosion a emporté la monumentale statue de marbre de Goethe. Jusqu’à ce que la destruction soit décidée en 1951, pour faire disparaître les stigmates de la guerre. Ne laissant de l’ensemble que la façade, dans un goût de la ruine qui faillit aboutir, dans les années 1970, à la conception d’un parc romantique… Cet abandon a été remis en cause en 1987 par l’équipe du très médiatique Hilmar Hoffmann, l’actuel président de l’Institut Goethe, alors responsable des affaires culturelles de Francfort. La ruine est devenue joyau patrimonial. Et, pour profiter de son «aura», on a chargé deux architectes, Marie-Theres Deutsch et Klaus Dreissgacker, de concevoir une structure contemporaine faisant office d’espace d’exposition. Contrepoint à la façade ostentatoire, le bâtiment aux lignes de conteneur industriel a un nom tout trouvé, Portikus, le portique. Depuis lors, l’établissement qui dépend de l’école des beaux-arts de Francfort s’est fait une réputation dans l’organisation de manifestations expérimentales consacrées à de jeunes artistes, devenant le centre de la scène artistique alternative de la ville. Il n’en risque pas moins d’être délogé.

Depuis une dizaine d’années, Francfort caresse en effet l’intention de reconstruire l’ancienne bibliothèque néoclassique. Avec, pour objectif final, d'y installer la Maison de la littérature, l’un des hauts-lieux du salon du livre, jusqu’ici établi dans une élégante villa dont la location ampute le budget municipal de 350 000 euros par an. Interrogé à ce sujet, Daniel Birnbaum, le directeur du Portikus explique : «Nous sommes un peu inquiets car pour le moment aucun plan concret ne nous a été proposé. Cela rend difficile l’organisation des programmes d’exposition. Cependant, le Portikus ne devait être ouvert que pour trois ans. C’était un projet expérimental. Cela ne serait donc pas mauvais que nous changions d’emplacement, à condition qu’il soit suffisamment grand et situé au centre de la ville». La question semble donc loin d’être tranchée. D’autant plus qu’à ces impératifs s’ajoutent les problèmes de financement. «On se demande où la municipalité compte trouver les 10 ou 20 millions d’euros nécessaires alors qu’elle assume difficilement les frais plus courants», ajoute ironiquement Daniel Birnbaum. Au delà de ses implications locales, cette question fait écho aux nombreux débats politiques liés à la reconstruction des bâtiments détruits pendant la guerre. Le plus célèbre d'entre eux concerne le château des Hohenzollern, situé en plein centre ville berlinois. Depuis la réunification, des experts internationaux planchent en effet sur la reconstruction du joyau baroque, rasé en 1950 et remplacé par l'un des symboles de la RDA, le Palais de la République, dans un projet qui suscite des réticences tant financières que symboliques.


 Zoé Blumenfeld
26.03.2002