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Marché

Le petit coin inuit de Paris

Hors du continent américain, les galeries consacrées à l’art inuit se comptent sur les doigts d’une main. Martine Léna a créé l’une d’entre elles à Paris, il y a douze ans.


Aoudla Pee, Ours debout,
serpentine, Cape Dorset, 1987
© Art Inuit Galerie Saint-Merri
Vous avez une position assez particulière sur le marché français ?
Martine Léna, directrice de la galerie Saint Merri.
Nous sommes effectivement la seule galerie permanente d’art inuit en France même s’il existe d’autres lieux d’expositions temporaires. Tenir une galerie dans ce domaine tient de la prouesse. En dehors du Canada ou des Etats-Unis, où les sculptures sont devenues des «denrées touristiques», il n’en existe que peu. À présent que celle de Mannheim a fermé, les principales sont situées à Milan, Londres, Berne et Bâle. Et leur travail est très différent de celui qui est mené en Amérique.

Pourquoi vous êtes-vous lancés dans cette aventure ?
Martine Léna.
Il y a douze ans, nous étions au Canada avec mon mari et nous avons eu un vrai coup de cœur. Nous avions déjà une sensibilité artistique puisque je suis peintre et mon mari, architecte. Mais nous n’avions jamais travaillé dans le commerce d’art. À notre retour, nous nous sommes renseignés pour savoir si d’autres galeries existaient et, trois mois plus tard, la nôtre était ouverte. Notre idée était de faire connaître cet art en présentant des pièces de qualité, par respect pour les Inuit, et avec l’envie d’être attentifs aux personnes intéressées car j’étais vraiment convaincue que ces œuvres, très particulières et ancrées dans le quotidien, avaient quelque chose à nous dire, directement.

Comment travaillez-vous ?
Martine Léna.
Je vais au Canada chercher les pièces. C’est un art reconnu depuis une cinquantaine d’années et le commerce s’est organisé avec des effets «pervers» : de nombreux Inuits sculptent et toutes les œuvres ne sont pas de bonne qualité. Je tiens beaucoup à faire moi-même un choix. Je suis déjà allée à Keewatin, à l’ouest de la baie d’Hudson. Sinon, je me rends à Toronto et Montréal où sont rassemblées les créations de communautés très distantes les unes des autres. En effet, chaque village a sa propre coopérative, un lieu où les hommes s’approvisionnent et vendent leurs sculptures comme ils amenaient leurs fourrures auparavant, dans un principe qui reste celui du troc même si de l’argent circule. Ces coopératives sont elles-mêmes regroupées en coopératives plus importantes, en organismes indépendants. Sans oublier la compagnie de la Baie d’Hudson qui a beaucoup de comptoirs et un circuit pour les œuvres d’art.

Quels sont les amateurs d’art inuit en France ?
Martine Léna
Le marché est très diversifié. Beaucoup ont découvert cet art là-bas et sont contents de le retrouver : on ne peut pas toujours acheter une œuvre en vacances. Certains y trouvent un attrait artistique, d’autres, ethnologique…


Manasie Akpaliapik, Chamane, os,
Artic Bay
© Art Inuit Galerie Saint-Merri
Quelles œuvres proposez-vous ?
Martine Léna.
Nous vendons essentiellement des sculptures, dans une gamme de prix très variée, de 76 € à 7 600 €. Nous avons moins de gravures parce que nous n’avons pas la place de les exposer et que ce sont des œuvres apparemment plus difficiles, réservées aux connaisseurs. La présentation tourne tous les deux mois et, deux fois par an, j’organise une exposition particulière. Cette fois-ci, elle est consacrée aux photographies contemporaines prises au Groenland par Martine Vaunois.

Pourquoi ce choix de réunir art inuit et création contemporaine européenne ?
Martine Léna.
Il ne s’agit surtout pas de présenter des œuvres contemporaines inspirées par l’art inuit mais d’organiser des rencontres entre ces sculptures et des œuvres qui ont un certain sens de la relation avec la nature. J’ai ainsi exposé des compositions d’Emmanuel Filliot faites à partir d’objets trouvés, des fusains de figures humaines d’Alexandre Hollan ou des tableaux faits de plumes par Michel Lebrun. À l’occasion d’une exposition que j’avais organisée à l’UNESCO en 1997, je m’étais interrogée sur ce qu’était l’art inuit, avec d’autant plus de force que j’avais toujours été refusée dans les salons d’art contemporains : l’art inuit était jugé trop ethnique. En organisant ces expositions, j’essaie de lutter contre cela.

Depuis, avez-vous réussi à intégrer des salons d’art contemporain ?
Martine Léna.
À force, ce travail porte ses fruits. En 2000, j’étais invitée d’honneur au salon Europ’art de Genève. En fait, les Suisses sont plus ouverts à cet art, ils portent un autre regard. Tout cela changera peut être avec l’ouverture du musée du Quai Branly.


 Zoé Blumenfeld
08.04.2002