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Expositions

Rome 1948-1959, la décennie fantastique

Rossellini, Anna Magnani, Moravia, Nervi, Chirico, Alberto Burri… Jamais la Ville Eternelle n'a été aussi créative qu'au lendemain de la guerre


Sofia Loren (1953)
© Reporters Associati Srl
La Rome de l'après guerre, c'est d'abord Cinecittà. C'est le cinéma qui va lui redonner la place dans la culture européenne et mondiale qu'elle avait perdue sous le fascisme non à cause de la médiocrité de ses créations, mais à cause de la politique d'autarcie, qui eut aussi des conséquences dans ce domaine. La victoire du néoréalisme, qui mobilise les plus grands réalisateurs de l'époque, de Visconti à Vittorio de Sica, de Rossellini à Antonioni, avec la collaboration de grandes hommes de lettres comme Zavattini, Moravia, Flaiano, d'acteurs hors pair, comme Ingrid Bergman, Totò,«la» Magnani, Lucia Bosé, Amedeo Nazzari, Alida Valli, pour ne citer qu'eux, a été comme un grand exorcisme pour faire table rase d'un passé récent bien trop gênant. C'est à partir de cette expérience que peut naître un grand cinéma, inventif et génial, qu'incarnent Fellini et parfois Visconti.


Panico, Il rione Ponte (1953)
© Reporters Associati Srl
C'est aussi la Rome de la renaissance de l'élégance avec les robes de Roberto Capucci et les chaussures de Dal' Co', de la Vespa omniprésente, d'une reconstruction souvent contestable, qui ne retrouve quelques accents avec Adalberto Libera et Pier Luigi Nervi, auteur du Palazzetto dello Sport, tout cela à l'époque de la combinazione en politique, des succès électoraux du parti communiste, à l'aube de la Guerre froide et des bases américaines de haut en bas de la Botte. Mais qui sait que Rome a été alors une grande et fertile manufacture pour les arts plastiques ? Cette exposition montre avec discernement et intelligence les grandes tendances qui s'expriment dans un conflit dialectique et non sans contradictions : le peintre figuratif Caprogrossi devient l'un des plus hardis créateurs de l'art abstrait et le chef de file de l'Ecole romaine dans les années trente, Mario Mafai, se tourne lui aussi vers des horizons informels. Le groupe Corrente, né à la fin des années 30, explose : Renato Guttuso adhère aux principes du réalisme socialiste alors que Giulio Turcato invente un mode d'expression extrapolant les données du sensible. Cette tension est fructueuse et profite aux deux camps, qui rivalisent d'originalité avec, d'un côté, les Anciens, comme Giorgio de Chirico, Alberto Savinio, Alberto Ziveri, Francesco Trombadori, Carlo Levi et, de l'autres, les Modernes, avec Titina Maselli, Alberto Burri, Carla Accardi, Toti Scialoja, Gastone Novelli, Mimmo Rotella. Les Américains tiennent à être présents dans cette grande poudrière esthétique.

L'un des aspects les plus passionnants de cette manifestation est la grande allée des galeries historiques, avec une sélection triée sur le volet des peintres qu'elles ont représentés : la galleria del Secolo, où cohabitent Turcato et Capogrossi, l'Art Club, où l'on retrouve Severini et Prampolini, la galleria dell'Obelisco, refuge de Savinio, mais aussi de Calder, la Fondazione Origine, qui ose montrer le futuriste Balla à côté de Burri, la Tartaruga, où sont révélés Dorazio et Maselli, Twombly et Wols, la Saletta où Accardi fait ses premières armes, l'Americana, qui fait découvrir aux Romains De Kooning, Pollock et Gorky, Kline et Rothko. Magnifiquement mise en scène, avec un nombre vertigineux de documents sonores et filmés, cette exposition peut servir de modèle. Le seul regret est qu'elle soit exclusivement romaine : elle aurait dû être présentée à Paris, à Londres ou à Berlin. Mais notre nombrilisme l'aurait-il permis ?


 Gérard-Georges Lemaire
11.04.2002