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Expositions

Alexis Poliakoff
© Photo : Muriel Carbonnet

Serge Poliakoff, mon père…

Alexis Poliakoff, gardien exigeant de l'œuvre du peintre, n’a jamais quitté Saint-Germain-des-Prés. Nous l'avons rencontré.

Alexis Poliakoff est enthousiasmé par l’exposition du musée des beaux-arts de Dunkerque «qui permet de suivre le travail de Poliakoff dans son évolution jusqu’à la fin et donc de modifier peut-être un peu l’image convenue de sa peinture». Il est vrai que l’on parle de «l’abstraction selon Poliakoff», ni lyrique, ni géométrique, mais qui joue sur les superpositions de matières et de couleurs, sur les imbrications de formes. «Pendant trente secondes en pénétrant dans le musée, j’ai été saisi : je n’avais pas vu certains tableaux depuis vingt-cinq ans et je regardais avec un autre œil ceux que j’avais prêtés, installés sur des cimaises d’un musée alors que j’ai l’habitude de les voir chaque jour chez moi dans mon mobilier, mon intimité». On dit souvent que Poliakoff n’eut ni maître, ni disciple : «C’est faux, il se nourrissait de ses visites régulières au Louvre ou dans d’autres musées. Ses rencontres avec Delaunay, Kandinsky et Freundlich furent décisives, théoriquement et en pratique. Quant aux disciples, j’entends régulièrement des étudiants des beaux-arts ou des jeunes peintres me dire qu’ils essaient d’appréhender la palette et la technique de mon père, mais comme l’écrit si bien Gérard Durozoi, l’auteur du catalogue : «Se prétendre disciple de Poliakoff, c’est tomber dans une espèce de parodie – donc ce n’est pas la peine d’essayer !»»


Alexis Poliakoff et son père en 1956
© Alexis Poliakoff
L’histoire de l’art moderne ne lui donne peut-être pas la place qu’il mérite car l’artiste ne peut être rattaché à aucun mouvement particulier tant son œuvre est autonome. «Sa peinture est avant tout méditative, intériorisée, silencieuse. Mon père dans ses ateliers de la rue Madame ou de la rue Richelieu n’avait besoin que d’une fenêtre pour peindre. Même au fond d’une cave avec une petite source lumineuse, il aurait pu créer. Il ne voulait subir aucune influence, il essayait simplement d’entrer en résonance avec les formes et les couleurs». Quand on pense que sa palette n’était composée que de sept ou huit couleurs et que, dans ses toiles, se dévoile une telle variété de teintes… «Les sous-couches, c’était son grand secret. J’ai toujours été étonné quand nous regardions un tableau dans un musée, alors que je ne voyais qu’une seule couleur, mon père en distinguait au moins trois. Cela m’a toujours épaté !» Alexis Poliakoff est serein au milieu de son salon, heureux de parler de son père. Il s’attarde encore sur un fait qui l’a marqué à Dunkerque. «Sur les quatre-vingts œuvres présentées, les visiteurs sont souvent déroutés par plusieurs salles, notamment celle qui montre des tableaux «tachistes», sans forme mais à la construction certaine. Ma mère avait l’habitude de les surnommer lesNymphéas de Monet. Le comble !» Alexis Poliakoff soupire. Il recherche depuis quarante-cinq ans une toile qu’il avait dans sa chambre d’enfant. «Elle a complètement disparu. Je ne désespère pas de la retrouver. Le premier volume du catalogue raisonné sortira l’année prochaine. Puis viendront les trois autres volumes avec plus de quatre mille pièces référencées. Je l’identifierai forcément. Je reçois au moins une photo par jour». Souhaitons-lui bonne chance !


 Muriel Carbonnet
03.04.2002