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Expositions

Olafur Eliasson : un art de l’expérience

L'ARC consacre l’œuvre du danois Eliasson, en une exposition faite d’installations monumentales et lumineuses où le spectateur devient acteur.

Olafur Eliasson est un artiste qui interroge les limites traditionnelles entre les rôles de créateur et de spectateur, ainsi que celles de l’espace d’exposition. Lavafloor (2002), la première pièce présentée est exemplaire à ce titre. Ce champ de roches volcaniques rapportées d’Islande occupe le hall du musée, débordant l’espace habituellement dévolu à l’exposition. Cette importation d’éléments naturels au sein d’un intérieur muséal n’est pas sans rappeler l’un des pères du Land Art, Walter De Maria et son Earth Room, consistant en un déversement de 50 m3 de tourbe dans la Dia Foundation à New York. Avec elle, l’œuvre se met à l’échelle du lieu et l’extérieur pénètre l’intérieur. Elle rompt avec son statut d’objet fini et pérenne. Sorte de monochrome naturel, elle offre une surface égale en tous points, se refusant à toute hiérarchisation de son espace. Aucune focalisation n’est permise. Mais le Land Art n’est pas la seule filiation qui s’impose, l’œuvre rappelle également les pièces de Carl Andre, qui, en 1965, réalise la première sculpture que l’on peut fouler. À l’image du représentant de l'art minimal, Eliasson invite le spectateur à emprunter ce champ de lave pour accéder au restant de l’exposition. L’œuvre revêt la fonction de sol et se trouve par là même, démythifiée. Mais le geste del’artiste danois se fonde, avant tout, sur une volonté de faire participer le spectateur à l’œuvre.


Olafur Eliasson
les choses que vous ne voyez pas,
que vous ne voyez pas
(vue de
l’installation) 2001, vapeur, tubes,
air, ventilateur courtesy : neugerriem-
schneider, Berlin courtesy: Tanya
Bonakdar Gallery, New York
De son propre aveu, le regardeur devient objet, et son environnement, sujet. Ce renversement s’opère dans de nombreuses œuvres exposées ici et de manière évidente dans Regardez dans la boîte ! (2002). Sur le mode de l’injonction, la pièce invite le spectateur, à mettre son œil devant un orifice, à travers lequel une caméra reliée à un ordinateur analyse l’image de l’œil, qui se trouve projetée sur le mur. L’œuvre ne peut exister sans la participation active du spectateur et celui-ci devient, par une ingénieuse mise en abîme, objet de sa propre contemplation, auto-réflexivité d’autant plus évidente, que le spectateur se trouve face à l’organe même de la vision, l’œil. Il est parfois convoqué non pour faire l’œuvre, mais pour la poursuivre. Dans The Structural evolution project (2001), chacun peut construire, à la suite d’Eliasson, de petites maquettes faites de tubes de plastique coloré. L’œuvre est non seulement conçue comme éphémère, mais son existence et sa forme sont entièrement dépendantes du fait même de son exposition. Elle ne trouve sa forme définitive qu’avec la fin de l’exposition. Entretenant une relation étroite avec son espace d’exposition, le travail de Eliasson n’ignore pas la spécificité architecturale du lieu. Remagine (2002) et Horizon instabile (2002), installations lumineuses, sont directement induites par l’architecture des salles. La lumière se fait souvent déstabilisante chez Eliasson, Yellow corridor (1997) ou encore 360° room for all colours (2002) mettent le spectateur à l’épreuve de ses sens. Les repères visuels sont bouleversés par cet environnement lumineux, le mur perd sa matérialité, la sensation de distance est abolie. L’art de Olafur Eliasson semble, en fait, ne renvoyer à rien d’autre qu’à nous-mêmes. A travers lui, c’est l’expérience de soi que l’on fait.


 Raphaëlle Stopin
24.04.2002