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Patrimoine

Antonello da Messina se met en trois

L'extraordinaire découverte de la fin des années 1970 - trois panneaux que l'on pensait perdus du peintre sicilien - est enfin présentée dans son ensemble aux Offices. Pour quelques semaines seulement…


Antonello da Messina, Vierge
à l'Enfant
, musée des Offices
C’est à l’œil de Carlo Volpe, le grand historien d’art italien, que l’on doit la spectaculaire découverte il y a une vingtaine d’années. «Un collectionneur avait vu les trois parties du retable chez un antiquaire, nous explique le turinois Gallino, qui en a vendue deux à l’Etat italien. Il a contacté Carlo Volpe, qui a tout de suite reconnu, malgré leur mauvais état, qu’elles étaient de la main d’Antonello da Messina. Il l’a notamment déduit des parties travaillées à l’or et cela a été confirmé par les analyses successives.» L’une des trois peintures - Saint Benoît - a été achetée en 1995 par la région Lombardie pour 4,3 milliards de lires. Les deux autres – la Vierge à l’Enfant et Saint Jean l’Evangéliste - ont été acquises en 1996 par l’Etat italien pour le musée des Offices, à un prix très largement supérieur : 16 milliards de lires.


Antonello da Messina, Saint Jean
l'Evangéliste
, musée des Offices
L’une des principales spécialistes du peintre, Fiorella Sricchia Santoro, qui les a également observées dès le début, n’a aucun doute sur leur authenticité. Il s’agit pour elles d’œuvres provenant de la Sicile, du début de la décennie 1470. Le fond or à motif végétal est le même que celui qui décore les trois pinacles – représentant trois Pères de l’Eglise, Jérôme, Grégoire et Ambroise – conservés à la Galleria Regionale di Palermo, qui surmontaient un triptyque considéré comme perdu d’Antonello. Il faut dire que le temps et les avanies n’ont pas épargné l’œuvre du peintre. Après les études des historiens du 19e siècle, le désastreux tremblement de terre de Messine en 1908 semblait rendre impossible la découverte d’œuvres encore non cataloguées d’Antonello da Messina. En réalité, les trois éléments exceptionnellement réunis pour l’exposition aux Offices constitueraient ce triptyque conçu à l’origine pour une église de Caltagirone.

Pourquoi l’Etat a-t-il acheté aussi cher ces deux panneaux ? Ils ont été acquis dans le cadre d’un legs compliqué. L’antiquaire florentin Ugo Bardini, décédé en 1965, avait en effet stipulé qu’il cédait ses biens à l’Etat, à charge pour celui-ci de les vendre et d’en affecter le produit à l’achat, pour le musée des Offices, de deux œuvres «exceptionnelles» antérieures à 1599. L’Etat ayant décidé entre temps de conserver les biens de Bardini, il fallut procéder à une évaluation de leur valeur et affecter un montant équivalent – 33 milliards de lires, soit 17 millions d’euros - à l’achat des œuvres «excellentes». C’est une commission qui proposa au ministre de la Culture de l’époque, Antonio Paolucci - aujourd’hui surintendant aux musées de Florence – l’achat des deux panneaux d’Antonello (pour 16 milliards de lires), en plus d’un bas-relief de Donatello (pour 17 milliards de lires mais cette somme incluait aussi le palais Martelli, qui l'abritait). Critiqué pour le montant excessif de l’opération, Antonio Paolucci savoure aujourd’hui la réunion provisoire des trois panneaux et continue de caresser son vieux rêve : les rassembler définitivement aux Offices. Ce à quoi s’oppose fermement la région Lombardie…


 Rafael Pic
24.04.2002