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Expositions

Marc Chagall, peintre-verrier

Le musée d'Art et d'histoire du judaïsme retrace l'histoire des verrières de la synagogue de l'hôpital Hadassah de Jérusalem.


Marc Chagall, Maquette pour
la tribu de Nephtali
, 1960,
gouache, aquarelle, pastel,
encre de Chine et collage de
papier, 40,7 x 30 cm,
collection particulière
© Adagp
En 1959, quand Marc Chagall reçoit la commande des verrières de la synagogue de l’hôpital de Jérusalem financé par Hadassah, une association féminine de bienfaisance américaine, il n’en est pas à sa première expérience de travail du vitrail. En un an, il a déjà participé au chantier d’une église du plateau d’Assy, aux côtés de Bonnard, Braque, Léger ou Rouault, et il s’est engagé dans la création de verrières calmes et claires pour la cathédrale de Metz. Pourtant, ce projet occupe une place particulière. Avec lui, Chagall va se sentir le digne héritier de Hayyim Ben Isaac Segal de Slutsk, le peintre mythique du 18e siècle qui développait des univers foisonnants de couleurs à l’intérieur des synagogues en bois, l’artiste dont les villes de Kopust, Moghilev et Dolhinov se disputaient la gloire, racontant qu’il serait mort en tombant d’un échafaudage après avoir mis la dernière touche à ses décors. Pour Chagall, cette filiation est d’autant plus symbolique que, cette fois-ci, les images du culte percent la paroi. Elles ne sont plus cantonnées dans l’espace intérieur mais se développent au vu et au su de tous, sur la Terre promise, comme un espoir de paix.


Marc Chagall retouchant le
vitrail de la tribu de Gad à
l’atelier Simon à Reims
,
1961 © photo Keystone
Le musée d’Art et d’histoire du judaïsme a décidé de revenir sur la genèse de cette œuvre. Une belle scénographie donne à voir l’évolution d’un projet auquel l’artiste a consacré deux années. Dans de subtils jeux de transparence, on découvre, successivement, une soixantaine d’œuvres sur papier : les premiers croquis au crayon et à l’encre de Chine, les lavis d’un format un peu plus grand, portant des indications d’ombre et de lumière, les mises en couleurs agrémentées de jeux de collage qui préfigurent la coupure noire des plombs et, enfin, les maquettes finales. Mais, contrairement à d’autres artistes, le travail de Chagall ne s’est pas arrêté à cette étape. Il a étroitement collaboré avec les maîtres verriers de l’atelier Simon à Reims et tout particulièrement avec Charles Marq. En témoignent quatre vitraux d’essai, premières réalisations à l’échelle sur lesquelles Chagall est revenu, retravaillant l’emplacement de chaque plomb, grattant ou appliquant de l’acide sur certains verres pour laisser la lumière éclater. Au niveau de la mezzanine de l’hôtel de Saint-Aignan, un espace documentaire a été constitué, relatant l’histoire complète de ce travail. En effet, une fois réalisées, ces verrières n'ont pas tout de suite été installées à Jérusalem. Elles ont d’abord été exposées, avec un immense succès populaire, dans un pavillon du musée des Arts décoratifs de Paris puis au MoMA. Dernières étapes avant une inauguration qui laissa l’artiste désespéré par l’installation qu’il considérait comme une boîte emprisonnant son œuvre et obligeant les visiteurs à se contorsionner pour admirer les douze verrières monumentales, disposées en couronne.

À travers cette histoire singulière, l’exposition permet aussi de pénétrer plus au cœur du travail de Chagall et de mieux cerner la difficile question d’un art juif moderne. Œuvres religieuses par destination, ces vitraux sont les premières créations pour lesquelles Chagall est contraint de respecter la loi mosaïque et de ne pas représenter de figure humaine. Conçues sur le thème imposé des douze tribus d’Israël, elles représentent les personnages éponymes des douze tribus. Ce choix éloigné des récits populaires auxquels l’artiste faisait généralement appel semble plutôt dicté par les circonstances symboliques. Ces héros n’incarnent-ils pas le rêve du «rassemblement des éxilés» qui devait aboutir à la création de l’État d’Israël ? Une photographie d’Izis montre l’artiste au travail, dans l’atelier de Reims, avec, au premier plan un livre ouvert sur les commentaires bibliques. Une œuvre qui arrive à point nommé pour rappeler que si Chagall refusait de se conformer à l’iconographie traditionnelle et s’il réorganisait les symboles sur un mode onirique et personnel, il ne s’en inspirait pas moins de textes précis, comme les prophéties de Jacob à ses fils ou les bénédictions de Moïse.


 Zoé Blumenfeld
03.05.2002