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Pittsburgh sous l’œil de W. Eugene Smith

Son projet ambitieux et inachevé - le portrait épique d’une ville moyenne des Etats-Unis - a enfin pris forme à New York. Sam Stephenson, commissaire de l’exposition, revient sur la genèse du projet.


Sans Titre (Homme avec lunettes
de protection)
, 1955-57
© The Heirs of W. Eugene Smith
Courtesy of the Carnegie Museum
of Art, Pittsburgh
Eugene Smith (1918-1978) est déjà célèbre lorsqu’il quitte le magazine «Life». Il a signé de nombreuses œuvres emblématiques comme The Walk to Paradise Garden (La Marche vers le jardin du paradis) (1946) où il représente ses enfants, et The Wake (La Veillée mortuaire) (1950) réalisée en Espagne et montrant un paysan sur son lit de mort, entouré des siens. La commande que lui passe Stefan Lorant en 1955 pour son livre Pittsburgh: The Story of an American City (Pittsburgh : Histoire d’une ville américaine) est simple, au demeurant : une centaine de clichés pour décrire la ville. Eugene Smith se lance pourtant dans un travail de titan, une odyssée personnelle dont il sort en 1958 avec 17000 négatifs.

L’exposition, qui se tient au ICP (International Center of Photography), rassemble 193 photographies choisies parmi les 1200 conservées au Carnegie Museum of Art (Pittsburgh), ainsi qu’au Center for Creative Photography de l’université d’Arizona (Tucson). Une opération menée par Sam Stephenson pendant cinq ans. La volonté de ce dernier s’inspire librement des intentions d’Eugene Smith, retrouvées grâce aux croquis et aux notes de l’artiste pour son projet d’un essai visuel aux thèmes multiples. «Smith voulait réaliser un portrait massif de Pittsburgh et de l’Amérique de cette époque. Heureusement, il a laissé des indices, explique Sam Stephenson,En 1970, il a organisé une exposition géante de 652 photographies au Jewish Museum de New York. Quatre-vingt cinq étaient extraites de la série sur Pittsburgh. Smith a pris en photographie le mur où celles-ci étaient exposées. Il a également sélectionné 200 photographies qu’il considérait comme la synthèse de l’ensemble du projet Pittsburgh. Je me suis appuyé, par ailleurs, sur le témoignage de son assistant, qui est toujours vivant.».


Pride Street, Pittsburgh,
1955 © The Heirs of W.Eugene
Smith Courtesy of the W.Eugene
Smith Archive at the Center for
Creative Photography, The
University of Arizona, Tucson
Dix sections ont été imaginées pour présenter toute la variété des sujets d’Eugene Smith. Sous les titres, «Enfants», «Vues», «Nuit» ou «Natures mortes culturelles», on retrouve les paysages urbains et nocturnes, les sorties d’école ou entrées au théâtre, les pancartes de rues que Smith a inlassablement immortalisés pendant plus de deux ans. Smoky City dépeint un paysage avec une entreprise de métallurgie, une rivière et une église. La fumée qui provient de l’usine recouvre l’ensemble. «C’est une métaphore : la religion, l’éducation, l’industrie, la nature et la fumée tout autour...» explique Sam Stephenson. «Cette œuvre résume la pensée de Smith : comment tout cela peut-il exister dans un seul et même lieu ?». Pour réaliser le tirage de The dance of the flaming coke (La danse du coke en fusion) Eugene Smith aurait mis 48 heures. «On y voit un ouvrier penché sur un four à coke métallurgique. Ses bras et jambes sont courbés», décrit Sam Stephenson. «C’est une sorte de ballet du labeur ».

La plupart de ces œuvres ont rarement été présentées au public. «Lorsque Smith approchait de la mort», raconte Sam Stephenson, «il a déclaré que cette période a été la plus misérable de sa vie. Beaucoup de gens ont cru qu’il était devenu fou, plus personne ne voulait travailler avec lui. Ces œuvres étaient entachées d’une mauvaise réputation, comme une malédiction. Et puis Pittsburgh n’était pas considéré comme une ville importante. S’il avait photographié ainsi New York ou Chicago, l’impact de ce travail aurait été beaucoup plus fort.».


 Laure Desthieux
15.05.2002