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Patrimoine

Quand la Suisse n'est pas à l'heure…

Initialement prévue pour 2000, puis pour 2001, la grande exposition nationale ouvre enfin ses portes. Posées sur l'eau, les éphémères constructions de Jean Nouvel, Coop Himmelblau et consorts seront démontées dans 159 jours.


A Morat, le Monolithe de Jean Nouvel
© ADAGP
Dans la tradition des expositions nationales suisses, Expo.02 est la cinquième édition depuis 1883 (la précédente ayant eu lieu en 1964 à Lausanne). Elle est organisée au cœur de la Suisse occidentale, dans la région dite des Trois Lacs. Cinq villes se sont réunies pour la mettre en œuvre : Bienne (Biel en allemand), Neuchâtel, Yverdon, Morat (Murten) et Jura. Du 15 mai au 20 octobre, chacune propose sur son Arteplage - terme inventé par les concepteurs de l’expo, contraction des mots «art» et «plage», Expo.02 étant installée sur les bords des lacs ou sur l’eau – expositions, manifestations, spectacles, etc. Le programme de l’été est dense, varié, pour tous les genres et tous les âges. Initialement portée par l’artiste Pipilotti Rist, Expo.02 a été reprise en main à partir de 2000 par l’ingénieur urbaniste Nelly Wenger et par Martin Heller, directeur artistique. Leur maître-mot est : respect du site. Toutes les installations prévues sont entièrement démontables, pour laisser les bordures des lacs dans leur état d’origine. Les concepteurs invités ont eu pour consigne stricte de réaliser des constructions «propres» qui ne laisseront aucune trace à l’issue de la manifestation.


A Morat, le passage hors sol de Via Lewondosky
Les thèmes des Arteplages sont «Pouvoir et Liberté» (à Bienne), «Instant et Eternité» (à Morat), «Nature et Artifice» (à Neuchâtel), «Moi et l’Univers» (à Yverdon) et le plus fantasque «Sens et Mouvance» sur le bateau voyageur qui représente la ville de Jura. Sélectionnées après concours, de grandes pointures de l’architecture participent à l’événement, comme le groupe autrichien Coop Himmelblau pour la réalisation de trois tours dont les dimensions (40 mètres de haut en moyenne) symbolisent le pouvoir et l’argent sur le ponton supérieur de Bienne. Jean Nouvel répond à la cité médiévale de Morat par un monolithe métallique émergeant des eaux du lac. Une belle image que nous propose l’architecte parisien qui a choisi de symboliser par ce cube de 34 mètres de côté l’Eternité, massif et aveugle, contredisant les lois de la nature, semblant flotter sur l’eau malgré son poids. Sur les berges, il a mis en œuvre des installations, amas de troncs d’arbres, remblais de sable et de gravier. L’architecte s’est opposé aux structures éphémères installées sur l’Arteplage sans son aval, action qu’il a qualifiée de «désastre absolu et contre-sens flagrant», ce à quoi les organisateurs ont répondu que le site était un lieu de festivité avant tout…

Trois galets géants entourés de roseaux lumineux symbolisant la science sont conçus par le groupe marseillais Multipack qui regroupe architectes, designers et artistes. A Yverdon, le duo new yorkais Diller & Scofidio a réalisé un véritable nuage, structure vivante, respirante, au-dessus de l’eau. Extension éthérée d’un jardin de dunes odorantes ou chantantes imaginées par les paysagistes néerlandais West 8, ils proposent ensemble un voyage d’éveil des sens. Enfin, sur une ancienne barge à graviers relookée par Didier Faustino, la ville de Jura présente spectacles et lumières, programme changeant sans cesse au gré du temps et des événements. Cette expérience a un coût très élevé : 1 milliard d’euros, dont 290 millions pour les constructions et infrastructures. Elle a traversé des péripéties innombrables : report de l’ouverture, démission ou décès de plusieurs de ses inspirateurs (Jean-Pascal Delamuraz, Pipilotti Rist, Jacqueline Feidt), retrait de sponsors (Orange ou Swissair). Mais les qualités humanistes du concept, son inventivité devraient lui valoir quelque dix millions de visiteurs.


 Rafaël Magrou
15.05.2002