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Expositions

Toguo, onirisme et provocation

L'exposition à la galerie Anne de Villepoix signe un renouveau dans la carrière de l'artiste des Transits.


À l'occasion de cette première de Barthélemy Toguo à la galerie d'Anne de Villepoix, ce n'est plus l'artiste africain itinérant que nous découvrons, celui qui se jouait, dans les fameux Transits, des affres du voyageurs tiers-mondiste en quête de visas. Cette période est révolue. Il est des étiquettes que l'artiste ne veut plus endosser. Ces deux années de stabilité dans l'atelier montmartrois lui ont donné le souffle d'une pensée plus mature. Ses nombreuses expositions, l'atelier de Düsseldorf et les ressourcements ponctuels dans son village natal de Bandjoun contribuent au confort d'une reconnaissance en cours. Certes, la démarche garde toujours ce regard universaliste, critique et pertinent. Mais celui-ci n'est plus essentiellement politique. Il y a une plus grande recherche d'humanité dans les rencontres désormais liées à la vie quotidienne. On discute, on palabre, on vit en communauté à Paris avec la tribu et les femmes sans oublier la Mamie et la case du village. Barthélemy Toguo n'a d'autre prétention que de nous faire participer de son univers de tous les jours mêlant à sa manière et toujours joyeusement le magma de l'Afrique aux folies d'un Occident toujours en excès… Pour cela, il utilise, débonnaire, à nous en étonner, toute une palette de techniques plastiques, allant de l'une à l'autre dans un va-et-vient incessant. Du dessin à l'aquarelle en passant par la sculpture sur bois à la tronçonneuse, les performances, la photo et la vidéo. Nous sommes dans une prolifération créatrice quasi-jubilatoire.

C'est l'espace global de la galerie qu'il lui a été donné d'investir pour cette exposition. Elle s'intitule Mamie Water. On l'a compris «Mamie», c'est le lien profond avec l'Afrique et «Water», ce liquide de la pensée synaptique filant, colorée à l'acrylique ou à la gouache, le long des murs en traits sinueux et hypnotiques. Ils nous transportent dans son monde onirique, ponctué ici ou là de retours à la réalité avec figures de bêtes noires aux grand pieds surgies de l'inconnu. Reliant ainsi les unes aux autres les silhouettes féminines en grands formats monochromes ou bien celle, festive de la Femme geyser. Tous ces dessins sur papier à l'encre noire et ces petites aquarelles abstraites colorées regorgent de vie et de poésie dans leur simplicité même. Autre type d'expression, critique de l'espace politico-environnemental, une installation composée de cinq poubelles dont trois revêtues du drapeau américain, se dresse au milieu d'un tas de déchets ménagers. Il y a là l'objet d'une provocation que l'on n'imaginerait pas s'exposer dans l'Amérique de Bush. On terminera par la vision humoristique de la femme-objet surmédiatisée que Toguo traduit par cette sculpture aux fesses de femmes imprimées de motifs de ballons de football. C'est généreux et contemporain, c'est d'une fraîcheur qui manque si souvent dans l'art d'aujourd'hui. Barthélemy, reste chez nous.


 Pierre-Antoine Baubion
14.05.2002