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Expositions

Le mariage du trait et de la lettre

Alors qu’on célèbre le Mai du livre d’art, la chapelle de la Sorbonne illustre la collaboration entre peintres et poètes du 20e siècle.


Blaise Cendrars & Sonia Delaunay
La prose du Transibérien et la
petite Jehanne de France

© Photo Michel Nguyen
Pour dresser une histoire du «livre de dialogue» entre peintres et poètes, Yves Peyré, a sélectionné plus de cent-vingt exemplaires issus du fonds de l’établissement qu’il dirige, la prestigieuse bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Autant d’œuvres en grande partie méconnues puisque éditées à quelques rares exemplaires et réservées au seul regard des chercheurs. L’exposition vise au contraire à familiariser le grand public avec une forme d’expression qui a valeur de défi. Ici, il ne s’agit plus d’écrivains s’adonnant aux arts graphiques ou de plasticiens s’essayant à l’écriture mais d'une alchimie : la fusion exceptionnelle de deux créations en un même objet, sans que l’une ou l’autre ne prédomine.


§?4ières tentatives remontent à la fin du 19e siècle et s’articulent autour d’un acteur principal, Edouard Manet. En 1874, il s’allie avec Charles Cros pour scander Le Fleuve de huit eaux-fortes. L’année suivante, il s'associe au prince des poètes, Stéphane Mallarmé, pour sa traduction d’un poème d’Edgar Poe, Le Corbeau. Et, en 1876, il compose frontispice, fleurons et cul-de-lampe pour L’après-midi d’un faune. Ces trois projets ouvrent la voie à une aventure sans qu’on puisse parler pour autant de «tradition». Car, au fil des périodes historiques et au-delà des courants artistiques, on ne manque pas d’être frappé par le constant besoin de mettre à bas les acquis pour fonder de nouvelles formes.


Jacques Dupin & José Maria Sicilia
Impromptu
Photo: Michel Nguyen
© ADAGP
L’exposition s’articule en six périodes et met en scène ces évolutions et ces ruptures. On y découvre le rôle capital du marchand Daniel-Henry Kahnweiler qui, à l’époque du cubisme et de Dada, relance l’aventure du «livre de dialogue», interrompue autour de 1900, en publiant L’Enchanteur pourrissant d’Apollinaire enrichi de xylographies de Derain ou le Saint Matorel de Max Jacob illustré par Picasso. Puis vient l’âge de l’épanouissement surréaliste avec le travail de Pierre Reverdy ou André Masson et, après guerre, les jalons posés par des alliances telles que celles de Dubuffet et Eugène Guillevic pour Les Murs, de Michel Leiris et Alberto Giacometti pour les Vivantes cendres ou de Guy Debord et Asger Jorn dans Mémoires et Fin de Copenhague… Et comme l’histoire s’écrit encore, l’exposition se termine sur des œuvres récentes comme Impromptu, une poésie de Jacques Dupin qui joue avec les effets de transparence des lithographies de José Maria Sicilia.


 Zoé Blumenfeld
22.05.2002