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L’Opéra savon fait son grand nettoyage

La pièce de Jean-Daniel Magnin, créée au théâtre du Vieux Colombier, offre une vision satirique de la société du spectacle et de l'art conceptuel.


Laurent Natrella et Véronique Vella,
de la troupe de la Comédie-Française

© Photo : Laurencine Lot
Opéra Savon est une farce en onze tableaux. Marsus, artiste conceptuel, déçu par sa femme qui l’a quitté pour jouer dans un «soap-opéra», se jette dans un broyeur à ordures. Il en réchappe toutefois et vingt ans plus tard, l’artiste est gardien de son propre musée, sous le nom de Pirole. Sa fille, Solange, qui ignore sa véritable identité, est guide dans ce même musée et poursuit parallèlement l’élaboration d’une thèse sur l’œuvre de son père. Le spectacle s’ouvre sur une visite guidée d’une des installations de Marsus. Parmi les visiteurs, on compte un rédacteur, une chef de produit, ainsi qu’un réalisateur et son acolyte venus de l’Est à la recherche de financement pour leur film. «Où sommes-nous ?» interroge Solange après avoir pénétré avec le groupe dans l’installation. Intimidés, les spectateurs n’osent se prononcer. Le rédacteur se lance : «Dans une œuvre culturelle ?». «Dans une chambre !» surenchérit la chef de projet. La réponse satisfait Solange. Un canapé, un réfrigérateur et une sculpture, «plante verte parabolique», ornent la scène. L'un des visiteurs en voulant graver ses initiales dans cette sculpture découvre un surprenant mécanisme. L'œuvre se met à clignoter, un générique se fait entendre et la scène se transforme en un «soap-opéra». Il s'agit, plus précisément, de la fameuse série dans laquelle joue Mildy, la femme de Marsus. Fort de cette découverte, Marsus entreprend de se venger de Schulman, l’auteur du feuilleton, avec l’appui de sa fille et de l’Indien culturel, énergumène venu du Canada à pied pour rendre hommage à l’artiste.

La mise en scène de Sandrine Anglade est enlevée. Formée auprès de Jean-Pierre Miquel, elle a signé la réalisation de nombreux opéras. Le décor de Goury, qui a conçu des scénographies pour Joseph Nadj ou le Malade imaginaire de Philippe Adrien, sert le propos de l’auteur. Les meubles installés, sortes de «ready made» façon Marsus, forment une œuvre d’art plus noble que le produit télévisuel dans lequel joue Mildy. Les Comédiens-Français Yves Gasc (Pirole-Marsus/Ron), Claire Vernet (Mildy/la chef de produit), Véronique Vella (Solange/Diana), ou Laurent Natrella (l’Indien culturel/Eric) interprètent avec finesse des doubles-rôles dans le feuilleton télévisé ou dans l’entourage de Marsus. L’auteur dénigre le monde des médias, de la publicité et du marketing. Les personnages du «soap-opéra » citent inlassablement la marque Psalmolive et la crème Chadior. L’hypocrisie ambiante est mise en évidence par les masques extravagants, du sculpteur et décorateur Daniel Cendron, que portent les personnages de la télévision. Les visages des acteurs se trouvent figés dans des grimaces hideuses. Finalement, l’artiste «performer» et sa drôle d’installation est le seul être lucide. Broyé par la vie bien plus que par une benne à ordure, il pointe du doigt un monde qu’il rejette : «la pasteurisation infantile, la masse totale rétrécie, la jubilation conne obligatoire ». Tout cela est drôle, rythmé, mais on cherche le message de cette fable. L’art conceptuel nous ouvre les yeux sur la société du spectacle ?


 Laure Desthieux
25.05.2002