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Patrimoine

Doucet, la bibliothèque d'un visionnaire

Le succès de l’exposition Peinture et poésie a mis sous un jour nouveau la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.


Robert Desnos,
Le livre secret pour Youki
© Bibliothèque littéraire Jacques Doucet
L'exposition qui s'est récemment tenue dans la chapelle de la Sorbonne a souligné la richesse des collections de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet dont provenaient l’ensemble des pièces présentées. Mais quel est le lien entre ces ouvrages exceptionnels et le styliste établi rue de la Paix qui «inventa» la haute couture ? Il est à la fois immense et ténu, car si Jacques Doucet (1853-1927) fut l’initiateur de cette institution, le fonds qui lui revient directement ne représente guère qu’un vingtième des 140 000 manuscrits et 40 000 livres précieux qu’elle conserve aujourd’hui.

Grand collectionneur de meubles, de peintures et de dessins du XVIIIe siècle, Doucet fut également un mécène visionnaire, prompt à soutenir le travail de jeunes gens aventureux et prometteurs comme Derain, Braque, Matisse, Suarès, Jacob, Reverdy, Rose Adler ou Pierre Legrain… Vers 1920, alors qu’il décide de créer une bibliothèque littéraire et que Suarès, Apollinaire et Cendrars ont déjà refusé d’en devenir les conseillers artistiques, c’est vers l’un d’eux qu’il se tourne, essuyant les railleries du Tout-Paris. Ce garçon âgé de 24 ans, c’est André Breton et par ce geste, Jacques Doucet fait de ses bureaux une antichambre du surréalisme. «C’est un accord magnifique entre un jeune homme et un vieillard qui a cette capacité à voir ce qui va se créer d’important avant tous les autres», raconte Yves Peyre, le directeur de la bibliothèque. Car Breton, bientôt rejoint par Aragon, fait acquérir le premier manuscrit de Tristan Tzara, fraîchement débarqué à Paris, ainsi que d’autres pièces majeures signées Duchamp, Picabia…


Jacques Dupin & José Maria Sicilia,
Impromptu
© Bibliothèque littéraire Jacques Doucet
Fin d'une époque et renaissance
Cette belle histoire a pourtant une fin. En 1926, les deux jeunes auteurs se brouillent avec celui qui symbolise la bourgeoisie qu’ils décrient haut et fort. Puis vient le temps de la crise qui laisse Doucet ruiné. Quelques mois avant sa mort, en juin 1929, effondré, il lègue sa bibliothèque à l’Université de Paris. En 1917, il avait fait don de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (dite Fondation Jacques Doucet) à la même institution mais ces deux gestes procèdent d’une logique profondément différente. «La Bibliothèque d’art et d’archéologie, fondée au début du siècle, avait été délibérément conçue comme une institution pédagogique destinée à fournir aux chercheurs le soubassement à leur étude», poursuit Yves Peyre. «Au contraire, la Bibliothèque littéraire est dictée par le drame de la guerre de 1914. Elle se veut un conservatoire vivant de l’esprit français en même temps qu’elle dresse un portrait personnel Doucet. C’est finalement la seule erreur de Doucet que d’avoir cédé au pessimisme et cru que cette création n’aurait pas de suite».

Car depuis lors, la bibliothèque, sise dans les mêmes locaux que la bibliothèque Sainte-Geneviève, au 10 place du Panthéon, continue de s’enrichir, recevant par exemple les archives globales d’écrivains. «Mon arrivée, en 1994, a signé le début d’une nouvelle période à double titre. D’abord, je suis écrivain ce qui permet de renouer avec l’aspect créatif du lieu qui a été pris en charge par des érudits depuis 1929. De plus, je m’efforce de bâtir une «nouvelle» bibliothèque, plus cohérente et plus exhaustive. Sachant que nous avions les fonds de Paul Gadenne et Henri Calet, je me suis battu pour que nous recevions celui de Raymond Guérin car ils incarnent tous les trois la prose française de l’immédiate après-guerre. De même, les acquisitions ponctuelles permettent d’enrichir nos fonds des rares manuscrits qui nous échappent». Un travail indispensable dans le cadre du projet de redéploiement de la bibliothèque…


 Zoé Blumenfeld
08.07.2002